Si les Français peuvent "supporter la vérité", que doivent-ils penser de la situation des finances publiques ? Pour M. Fillon, il faut pédagogiquement parler de "faillite" – c’est une image, les enfants… Quel est l’objectif de cette pédagogie ? Il s’agit de convaincre les citoyens que ceux et celles qui dirigent l’Etat actuellement n’ont pas d’autre choix que de "réduire la voilure", de dimimuer le montant des dépenses et augmenter les recettes, afin de parvenir à l’objectif d’un budget en équilibre, voire à un budget excédentaire qui permettra de rembourser la dette publique nationale. Mais – comment ? Même s’il s’agit de "pédagogie", l’usage du mot faillite entend frapper les consciences par un misérabilisme d’Etat qu’il serait possible de résumer par une formule compréhensible aux oreilles de tous : "il n’y a plus d’argent". Mais si tel était le cas, si le Trésor Public était en cessation de paiement, les fonctionnaires ne recevraient plus leurs traitements, et l’Etat ne pourrait honorer ses obligations, ce qu’il fait chaque jour et tous les mois. Et comment le peut-il ? C’est que l’économie n’est pas une fiction : travaux, productions, échanges, taxes, les Français, travailleurs ou rentiers, génèrent du cash, qui coule à flots. 5 millions de citoyens participent faiblement à ces échanges, parce qu’ils sont chômeurs … à plein temps, à temps partiel. Avec la moitié de ces citoyens au travail, le Trésor Public percevrait suffisamment de nouvelles recettes pour approcher un budget en équilibre. Mais les choix du
gouvernement actuel contredisent fondamentalement cet objectif d’une réduction massive du chômage, puisqu’il réduit les recrutements dans la fonction publique, puisqu’il n’y a aucune politique réelle qui
favorise l’emploi. Le résultat de cette somme de choix est évidemment une situation qui empire – un budget toujours déficitaire, une dette qui augmente, des chômeurs toujours plus nombreux, le
niveau de vie des plus modestes et d’une partie de la classe moyenne qui diminue – mais dans le même temps, la situation financière des plus riches ne cesse d’être plus importante, car les échanges mondiaux génèrent toujours plus de flux financiers ! Quoiqu’il en soit, cette situation budgétaire qui empire est parfaite pour contraindre l’ensemble de la collectivité à des mesures ultra-libérales qui profiteront à celles et ceux qui veulent privatiser et financiariser l’ensemble des domaines de confort et de service, comme la Sécurité Sociale. L’expression de M. Fillon n’est pas lucide mais cynique. Comme s’ils ne dirigeaient pas la France depuis plusieurs années, les responsables de l’UMP et les ministres du gouvernement entendent faire oublier qu’il y a d’autres pistes pour "réduire le budget de l’Etat", notamment en diminuant de manière drastique la haute fonction publique, les privilèges et les coûts de la noblesse d’Etat, les dépenses extérieures des ambassades et des expatriés,
… Dans "Sphères III", Peter Sloterdijk écrit dans le chapitre III, "Antigravitation et gâterie – 1. Au delà de la misère" : "Lorsqu’on se laisse impressionner outre mesure par le jargon du militantisme et par le romantisme de la discontinuité, on ne voit pas que l’évènement central du 20ème siècle ne peut être interprété que sur la ligne d’un principe de constance : ce qui, dans une perspective diachronique, constitue le contenu décisif de cette époque, c’est la sortie de la "société" moderne hors des définitions de réalité de l’ère de la pauvreté matérielle et de ses compensations spirituelles (…) Malgré tout ce que produisent l’alliance des avocats modernes de la pénurie, les psychologues de la condition humaine, les expressionnistes du traumatisme, les ascètes de la vanité et les visiteurs universitaires au pays de la pauvreté persistante pour élever des objections contre l’évènement de l’abondance : on n’a plus de raisons suffisantes pour nier que les irritations de la "société" contemporaines sont presque toujours provoquées par sa richesse".
Très riche ce billet, je dirais même peut-être trop touffu!
Une remaruqe sur la « lutte contre le chômage ». Il est bon de dire et de répéter que la baisse du chômage n’est pas un objectif de la droite (et de la gauche?). Ce serait même une catastrophe pour nos amis de la commission européenne, qui définissent comme objectif le maintien d’une inflation faible.
Mais je n’en dit pas plus! Ce sujet sera développé par mon amis Nicolas, sur « équilibre précaire »! Pub!
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Un mot aussi sur Sloterdijk. Je l’adore, et je l’ai même rencontré une fois. Il est remarquable, poétique, hölderlinien à souhait, mais souvent imbittable, hélas!
Quand il dit « le contenu décisif de cette époque, c’est la sortie de la « société » moderne hors des définitions de réalité de l’ère de la pauvreté matérielle et de ses compensations spirituelles »
est-ce qu’il faut traduire par « il vaut mieux être riche et en bonne santé qu pauvre et malade? »
Parfois Sloterdijk me déçoit…
Eric, sans doute cette note est un peu dense, mais quand on est sur un sujet, autant en parler vraiment. Après, le lecteur, la lectrice, en fait ce qu’il, elle, veut.
Effectivement, les dirigeants de la « politique économique » dans l’UE, comme Trichet, ne veulent pas du plein emploi, ni d’une baisse importante du chômage, surtout parce que les entreprises seraient obligés de mieux payer leurs salariés, étant donné que le rapport de forces leur serait favorable (situation de 68). Cela, ils n’en veulent plus, à aucun prix. Il faut donc que les chômeurs en France comprennent et sachent qu’ils servent les puissants, qu’ils sont instrumentalisés dans la situation économique actuelle (pression sur les salariés).
Oui, n’hésite pas à faire une telle publicité, elle est justifiée.
Sloterdijk, comme tous ces intellectuels-créateurs allemands, a une tendance certaine à dériver vers la vaticination, vers un style permanent dans l’expression orale et écrite, emphatique, solenelle, mais je préfère cela au style du premier ministre français, ou de quelques intellectuels spécialisés dans les lapalissades.
Non, il ne dit pas qu’il « vaut mieux être riche… ». Il constate que les « pauvres » d’aujourd’hui sont, par comparaison avec le niveau d’existence des générations antérieures, des riches, et que la maîtrise des moyens d’existence et la diffusion des moyens de confort ont atteintes l’ensemble de la population des pays les plus riches, même parmi les « pauvres ». Quand il parle de ce type de richesse(s), il va de soi qu’il semble préférable d’être riche et bien portant que…, mais pour Sloterdijk, notre vie se définit aussi par la valeur personnelle que l’on acquiert par la recherche dans l’Ouvert, et de ce point de vue, les « riches » représentent des pauvres puisqu’ils se ferment à l’égard de cette Ouverture, ils s’enferment dans des ghettos, ils vivent de manière grégaire, ils ont tellement d’avoir(s) qu’ils ne savent pas quoi en faire.