"Cher Panagiotis, si tu n’étais pas déjà parfaitement au courant de ce qui se passe dans la vie politique française, tu pourrais, tel un Montesquieu contemporain, rentrer chez toi et écrire de nouvelles Lettres Persanes – ou tout simplement des Lettres Hellènes. Tu y raconterais une étrange contrée, la France, où, pour une large part de la gauche se disant radicale, vouloir sortir de l’euro c’est être un fasciste en puissance, réaffirmer le principe de souveraineté démocratique contre les institutions européennes qui nous en infligent le dernier degré de dépossession, c’est être le fourrier du Front National. Misère du posturalisme Retour à la table des matières Tu témoignerais ainsi de l’apparition d’un nouveau courant de la gauche radicale, ou de la pensée internationaliste – laquelle, Dieu merci, ne s’y épuise pas – qu’on pourrait nommer le posturalisme. Comme son nom l’indique, le posturalisme a pour unique ressort la recherche des postures – avantageuses il va sans dire, et si possible bon marché, car le posturalisme est aussi régi par un robuste principe d’économie, et cherche la maximisation des bénéfices symboliques par la minimisation de l’effort intellectuel. Il s’ensuit que, de même que l’existentialisme était un humanisme, le posturalisme est un illettrisme – il ne sait pas lire : on peut lui mettre sous le nez autant qu’on veut des textes, des arguments, des mises au point, ça ne passe pas la barrière de la posture. Pour le coup no pasaran ! Mais ce ne sont pas les fascistes qui ne passent pas – avec de pareils opposants, ceux-là ont les meilleures chances de passer, et comme dans du beurre. Non, ce qui ne passe pas, c’est la moindre intelligence dialectique, et le moindre effort d’échapper à une désolante stéréotypie. En tout cas, mon cher Panagiotis, sache-le : tu es un fasciste. Tu veux la restauration de la souveraineté populaire ; constatant son impossibilité dans l’Union européenne, tu veux la sortie de l’euro : tu es un fasciste – je suis bien désolé, mais ici, en ce moment, c’est comme ça. Evidemment, le problème épineux que tu poses à tous ces gens-là [2], c’est que tu n’es pas un fasciste… Tu plaides pour la souveraineté populaire grecque, tu parles de la sortie de l’euro, mais tu n’es pas un fasciste. Je peux maintenant t’avouer la raison un peu honteuse pour laquelle je suis vraiment content d’avoir ce débat ici avec toi : tu vas me servir de bouclier humain. Car il ferait beau voir que les pitres posturalistes viennent te dire à toi, toi qui arrives d’un pays en état de persécution économique, d’un pays humilié et mis en situation de crise humanitaire par notre belle Europe, que parce que tu veux en finir avec cela, parce que tu n’as pas la patience d’attendre qu’un autre euro soit possible, que l’Union européenne devienne progressiste et que les autres peuples européens enfin soulevés entrent dans les institutions bruxelloises, bref parce que tu n’as pas le goût d’attendre l’été à Noël, tu es un fasciste. Vraiment je voudrais les voir ces gens-là, ces professionnels du pharisaïsme, venir te dire en te regardant dans les yeux que vous êtes des fascistes, toi, Kouvelakis, Lapavitsas et tant d’autres."
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