Éric Sadin, écrivain et philosophe, analyse comment les corps, les rapports aux autres, la ville jusqu’à l’habitat sont désormais quantifiés, évalués en temps réel et optimisés à l’aide d’algorithmes, pour enfin être monétisés. Face à cet assistanat robotisé, il appelle à mettre en crise ce système dominant en réintroduisant de l’imprévu dans notre relation au monde.On dit souvent que les algorithmes sont à l’informatique ce que les recettes sont à la cuisine. Quelle serait votre définition ?
Éric Sadin On doit comprendre l’algorithme comme un réglage spécifique destiné à exécuter des opérations sur des données numériques en fonction d’une fin déterminée. Pour ma part, je distingue deux types d’algorithme. Un premier conçu en vue de seulement répondre à une tâche univoque. Par exemple, lorsque nous cliquons sur une image perçue sur un écran et qu’elle s’agrandit aussitôt, c’est le résultat de suites d’opérations qui rendent possible la réalisation de cette commande relativement simple. Un second type d’algorithme, massivement apparu depuis le début du XXIe siècle, consiste à le doter de facultés d’interprétation des situations, de suggestion de solutions en fonction de résultats, voire d’une prise de décision de façon autonome. Cela constitue un événement technologique et épistémologique majeur, car ce type d’algorithme ne se contente pas d’exécuter des commandes mais tend à infléchir nos décisions, à nous encourager à agir de telle manière plutôt que de telle manière en fonction d’intérêts non immédiatement manifestes.
Va-t-on vers un contrôle social par les algorithmes, nourris par d’immenses bases de données (Big Data) ?
Éric Sadin Il s’agit moins de contrôle que d’une volonté d’agir sur le cours des choses en fonction de trois impératifs devenus cardinaux dans nos sociétés contemporaines : l’optimisation, la fluidification et la sécurisation du plus grand nombre de situations individuelles et collectives. Dimensions qui se trouvent aujourd’hui exaltées par la numérisation tendanciellement intégrale du monde. Car après la numérisation de l’écrit, du son et de l’image entreprise au cours des dernières décennies, nous entrons dans une nouvelle ère marquée par la prolifération de capteurs et d’objets connectés qui saisissent une infinité de fragments du réel érigeant une définition extrêmement précise – au chiffre près – des phénomènes. Nous sommes désormais dotés d’une connaissance haute définition et en temps réel de nombre de faits de tous ordres. Disposition qui nous conduit à agir de façon toujours plus informée et à entretenir un rapport strictement utilitariste à notre environnement. Il s’agit là d’une dimension non dite actuellement instituée par le numérique, qui participe d’une extrême rationalisation des sociétés.
Peut-on dire qu’on passe de l’algorithme totalisant au totalitaire ?
Éric Sadin Ce qui actuellement prend une forme totalisante, c’est que, par le fait de la numérisation de nos existences, de plus en plus de nos gestes sont orientés par des algorithmes en vue de nous faire adopter des comportements, non pas de façon coercitive, mais sous une forme incitative par la stimulation du désir. Et cela rend le phénomène difficile à saisir. Car nous sommes placés sous le r
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