«Mais qu'est-ce que c'est donc, un Noir ? Et d'abord, c'est de quelle couleur ?», demandait Jean Genet dans Les Nègres, en 1948. Et quelles sont alors les teintes de cette «France noire», explorée, en 2011, par un collectif d’historiens dirigé par Pascal Blanchard ?
Un ouvrage aussi documenté qu’imagé, La France noire, trois siècles de présence, publié aux éditions La Découverte, accompagné d’une série de trois films documentaires diffusés sur France-5 en janvier prochain et d’une exposition itinérante, a pour ambition de retracer l’histoire des Noirs de France et la part noire de l’histoire française.
«Ce n’est pas neuf de travailler sur l’histoire des Noirs en France, précise Pascal Blanchard. Des centaines de livres leur ont été consacrés, mais ils sont souvent restés à la marge de l’histoire de France, comme une histoire d’immigrés pour immigrés. Nous voulions donc rendre cette histoire visible, avec tous les codes de la grande histoire : une historiographie pointue, une iconographie exceptionnelle, tous les codes d’un beau livre… C’est quand cette histoire devient visible qu’elle dérange.» C'est aussi quand elle regroupe, sous une même enseigne, des réalités très différentes.
Qu’est-ce qui relie, en effet, l’histoire d’Hégésippe Légitimus, élu député de la Guadeloupe en 1898, à celle d’un docker malgache installé en France au début du XXe siècle ? Ou celle d’un tirailleur sénégalais de la Grande Guerre à celle d’un boxer américain installé en France dans les années 1920 ou encore d’un Malien de Kayes venu à Paris après-guerre ?
«C’est un regard, une condition, tranche Pascal Blanchard. Cela a pu être une revendication politique et culturelle, mais, être noir, c’est d’abord se sentir noir dans le regard de l’autre. Lilian Thuram explique cela dans le film. Quand tu nais, comme lui, aux Antilles, tu es français. Quand tu arrives en métropole, à l’âge de 9 ans, tu deviens noir.»
Le livre de l’historien Pap N’Diaye, La Condition noire, essai sur une minorité française, avait été, le premier, en 2008, à montrer qu’il n’existait pas une identité unique, monolithique, mais, par contre, une condition, ressentie au regard de l’histoire. «Sans ce livre, on aurait eu du mal à faire La France noire, concède Pascal Blanchard. En France, on pense que faire l’histoire d’une population fabrique une communauté. Si on travaille sur les ouvriers, on fabrique une classe. Si on travaille sur les Noirs, on fabrique une communauté noire. Aux Etats-Unis, on peut travailler sur un ensemble, sans considérer pour autant que cet ensemble constitue une identité ou une communauté. Le livre montre que plusieurs histoires s’entrecroisent : l’histoire des Malgaches en France n’est pas celle des Mauritaniens en France, qui n’est pas celle des Sénégalais en France, ni celle des Guyanais en France… Mais dans le regard porté sur ces communautés, dans certaines affirmations politiques et culturelles, ou dans certaines décisions juridiques de l’Etat à travers l’histoire, être noir avait un signifiant collectif.»
Ce livre est-il le fruit de «Black Studies» à la française, du nom de cette histoire née aux Etats-Unis, durant les années 1960, dans la foulée des mouvements revendiquant les droits civiques ? Le terme dérange Pascal Blanchard. «Cette histoire ne vient pas d’une importation des Black Studies, mais du croisement de gens qui travaillent sur l’histoire coloniale, sur l’histoire de l’immigration ou l’histoire du regard, depuis plus d'un quart de siècle. Cela n’émerge pas d’une revendication politique.»
Même si, en 2005, est né le CRAN, le Conseil représentatif des associations noires de France, qui revendique une identité noire ? «Le CRAN est la partie visible, mais il n’a rien inventé, poursuit Pascal Blanchard. Quelle différence y a-t-il entre le C
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