C’était il y a deux ans. Mireille Dimpre-Berthemy songeait à ses vacances, prévues fin juillet, avec son mari. Elle avait des projets pour sa maison, son jardin, en avait parlé à Pierre, un ami avec lequel elle prenait chaque jour le train de 7 h 24 en direction d’Amiens. Mireille s’occupait alors des comportements professionnels (simulation d’entretien, stages des étudiants, etc.) à l’Ecole supérieure de commerce (ESC). Elle était un peu fatiguée, somnolait parfois dans le 7 h 24, ce qui n’était pas son habitude. Elle avait aussi confié à Pierre qu’elle risquait de devoir recommencer un travail et peut-être retarder un peu son départ en vacances. Le 22 juillet, elle avait à ce sujet eu un entretien tendu avec son supérieur. Le 23 juillet, elle rentre dans les locaux de l’ESC à 8 h 50. Huit minutes plus tard, elle écrit un mail à un chargé de mission pour lui annoncer qu’une réunion a été annulée : «Encore merci de l’avoir accepté. Bonne journée !» Elle va chercher un café, papote dans les couloirs avec des collègues. A 9 h 47, elle ferme la porte de son bureau, se jette par la fenêtre. Elle décède en début d’après-midi à l’hôpital. Elle avait 48 ans, s’habillait toujours en noir et blanc et était, paraît-il, très belle.
Fait rare, ce suicide a fait l’objet d’une enquête de police, déclenchée à l’initiative du parquet, puis d’un renvoi devant le tribunal correctionnel pour «harcèlement moral», ce délit que souvent la justice estime si difficile à définir et à étayer. Audiencé fin mars, le procès a été différé en raison d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC, lire ci-contre) déposée par la défense. Des échos récents font état d’un probable rejet de la QPC par la Cour de cassation, ce qui ouvrirait la voie à un nouveau procès, peut-être dès septembre. Très déçues du renvoi, les parties civiles attendent de pied ferme ces débats. Car en plus du cas dramatique de Mireille Dimpre-Berthemy, six salariés de l’ESC ont été déclarés souffrant d’un harcèlement moral, exercé par quatre directeurs et une directrice de l’établissement. «Nous sommes à la tête d’une école de commerce, de business. La vie de l’école, c’est la guerre, et j’essaye de prendre soin de mes soldats, si je puis me permettre cette analogie militaire», s’est expliqué Jean-Louis Mutte, le directeur du groupe Sup de co – dont dépend l’ESC – qui a aussi estimé que «la CGT et le PC cherchent à instrumentaliser le décès de Mireille Dimpre-Berthemy pour arriver à leurs fins, car nous formons les suppôts du capitalisme de demain».
Tranchée. Au milieu des dizaines d’accusations et de contre-attaques ayant scandé l’affaire, deux rapports, l’un de la médecine du travail en décembre 2009, l’autre de l’inspection du travail en juin 2010, donnent de la matérialité à cette situation de souffrance. La médecine du travail a conclu que sur les 67% des salariés ayant répondu au questionnaire, 33% affirment être en situation de stress élevé, et 39% disent que leur travail a des répercussions négatives sur leur santé. De son côté, l’inspection du travail, après avoir auditionné 45 salariés de Sup de co, a aussi conclu à une situation de harcèlement moral.
Pendant trois ans, la guerre de tranchées a opposé, à grands traits, des hommes, plutôt âgés, dont les salaires tournent autour de 5 000 euros nets mensuels, à des femmes bien plus jeunes, percevant environ 1 500 euros nets.
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