Compagnons d'indignation et de résistance, Stéphane Hessel et Edgar Morin ont choisi Mediapart pour s'adresser aux candidats à l'élection présidentielle. Intitulé « Pour que la France retrouve le chemin de l'espérance », leur appel s'adresse à ceux qui briguent la présidence de la République, et plus particulièrement les candidats de gauche, au nom des attentes qu'expriment aussi bien les révolutions démocratiques arabes que le mouvement mondial des Indignés. Voici la vidéo où ils lisent, à deux voix, cet appel dont le texte, reproduit sous l'onglet « Prolonger » de cet article, peut être téléchargé ici en format PDF.
Cet appel résume en douze commandements le propos que Stéphane Hessel et Edgar Morin développent dans un livre-manifeste qui vient de paraître, Le Chemin de l'espérance (Fayard, 5 euros). Ce texte est l'aboutissement d'un compagnonnage affirmé et approfondi dans la foulée du succès immense de Indignez-vous !, Stéphane Hessel ayant d'emblée renvoyé à l'œuvre d'Edgar Morin pour l'invention des réponses nécessaires, et notamment à La Voie, paru chez Fayard début 2011.
Stéphane Hessel l'expliquait dans ses vœux de nouvel an, diffusés par Mediapart (les voir ou les revoir ici), tandis qu'Edgar Morin précisait ensuite cette complicité en s'expliquant sur son dernier livre (lire ici notre entretien). Enfin, ils furent tous deux côte à côte pour saluer les révolutions démocratiques arabes naissantes, lors de la réunion publique organisée le 7 février 2011 à Paris par Mediapart (voir ici la vidéo de la soirée).
L'Appel de l'espérance lancé aujourd'hui par nos deux compères, l'un diplomate de carrière, l'autre socio-anthropologue de métier, est une façon de fêter un anniversaire. C'est il y a à peu près un an en effet qu'était publié par une petite maison d'édition de Montpellier, Indigène Editions, Indignez-vous !, court texte de Stéphane Hessel élaboré à partir d'un discours tenu sur le plateau des Glières, haut lieu de la résistance au nazisme.
Depuis cette date, le succès, d'abord français – plus de deux millions d'exemplaires –, puis planétaire – le livre est déjà traduit en trente-trois langues –, est phénoménal au point que ce verbe (s'indigner) devenu substantif (les indignés) est désormais le sésame d'une révolte embryonnaire en Europe et aux Etats-Unis, qui fait écho à l'événement aussi heureux qu'inattendu des révolutions arabes. Aussi avons-nous demandé à Stéphane Hessel et à Edgar Morin leur analyse de l'impact de ce mot devenu injonction. Voici leur réponse :
via www.mediapart.fr
Appel lancé par Stéphane Hessel et Edgar Morin sur Mediapart le 19 octobre 2011
1. Nous constatons que la force libertaire de la jeunesse, utilisant les moyens informatiques nouveaux, a été capable d'abattre des despotismes dans les pays arabes, d'y réveiller tous les âges et toutes les classes sociales, et qu'elle est devenue une force déferlante d'indignés sur la planète, défiant les pouvoirs, notamment le pouvoir sans entraves du capitalisme financier. Si cette force est apte à provoquer des ruptures et des éveils, il lui manque une pensée politique capable d'ouvrir une voie qui unisse les forces vives des peuples sur un chemin d'espérance. C'est la formulation d'une telle pensée que nous proposons aux candidats.
2. Comme la France n'est pas seule dans le monde et que son destin en dépend en partie, elle devrait proposer une réforme de l'ONU qui la rende apte à traiter les conflits en cours, dont le douloureux conflit israélo-palestinien, et qui instituerait trois instances planétaires dotées de pouvoirs :
– pour surmonter la crise mondiale actuelle en régulant véritablement son économie ;
– pour protéger la biosphère dont la dégradation accélérée dégrade les conditions de vie de l'humanité ;
– pour entreprendre l'élimination des armes de destruction massive.
3. Comme la France est dans l'Union européenne, elle devrait y militer pour y développer une politique commune de protection de ses populations, de développement de ses coopérations, d'intégration des immigrations, et de justes propositions pour la paix dans le monde.
4. La politique en France devrait avoir pour orientation le « bien vivre » qui englobe et dépasse le bien-être matériel pour restaurer une qualité de vie de plus en plus dégradée.
5. Une telle politique pourrait, en même temps, traiter la crise économique et réduire le chômage en développant des mesures appropriées pour :
– juguler la spéculation financière ;
– combiner la mondialisation de coopérations et d'échanges à une démondialisation de protection des intérêts vitaux locaux, régionaux, nationaux ;
– opérer une vive croissance de l'économie verte, de l'économie sociale et solidaire, du commerce équitable, et une décroissance parallèle de l'économie du futile, du jetable, du gaspillage, elle-même liée au développement d'une consommation désintoxiquée ;
– favoriser la croissance de l'agriculture et de l'élevage fermiers et biologiques et la décroissance de la grande exploitation industrialisée.
6. Une telle politique entreprendrait la réduction des inégalités, notamment par une réforme fiscale et la création d'un observatoire des inégalités, qui ferait annuellement ses recommandations.
7. Une telle politique opérerait une régénération de la solidarité notamment en instituant dans toutes villes des maisons de fraternité et en établissant un service civique de solidarité.
8. Une telle politique inciterait à une débureaucratisation des administrations et des entreprises par décompartimentation des travailleurs et restitution de leurs possibilités d'initiatives.
9. Une telle politique inciterait à la démocratie participative en instituant des conseils de gouvernance urbaine et municipale, comportant élus, administrateurs, professions compétentes et citoyens.
10. Une telle politique comporterait une réforme de l'enseignement à tous niveaux de façon que les problèmes fondamentaux et globaux, qui nécessitent des compétences polydisciplinaires, y soient enseignés dès les petites classes. Elle répondrait à ce que prescrivait Jean-Jacques Rousseau : « Enseigner à vivre ».
11. Toutes ce réformes devraient s'entre-compléter et converger en un grand dessein qui ouvrirait à la France le chemin de l'espérance.
12. Un Président de la République doit d'abord prendre acte des grands défis devant lesquels se trouve notre monde, où la France a sa place et sa responsabilité (l'énergie, l'eau, la faim, le climat, la pollution, etc.). Il doit avoir le courage de réduire drastiquement les énormes dépenses inutiles ou nocives, comme les dépenses d'armement et de guerre et l'investissement nucléaire, et de réduire tous les énormes gaspillages qui empêchent l'essor d'une économie saine et productive. Il doit savoir que d'immenses ressources humaines sont inemployées, qu'il y a dans le peuple de France, s'il est rendu à l'initiative et à l'espérance, de très grandes potentialités créatrices. La nouvelle politique doit se mettre au service des citoyens, et ceux-ci se mettront à son service.
Nous sommes au seuil d'une nouvelle Histoire humaine et déjà partout, notamment dans les jeunes générations, naissent des initiatives porteuses d'un futur d'espérance.
En parallèle à cet appel, Stéphane Hessel et Edgar Morin viennent de lancer un autre projet : « Roosevelt 2012 » avec quelques autres personnalités.
Il s’agit d’inciter le futur président français à mettre en oeuvre, immédiatement après son élection, 15 réformes radicales pour :
– stopper net la crise en quelques mois
– créer 2 MILLIONS d’emplois CDI temps plein en 5 ans sans ruiner l’état ni les entreprises
– Et globalement faire naître une nouvelle société démocratique au niveau européen
http://www.roosevelt2012.fr/
Avec le soutien également de :
– Curtis Roosevelt, petit fils de l’ancien président américain Franklin Roosevelt
– Fondation Danielle Mitterrand
– Fondation Abbé Pierre
– Génération Précaire
– Michel Rocard
– Pierre Larrouturou
– Lilian Thuram