Racisme social aux Etats-Unis – Black Lives Matter: ceci est un mouvement – par Iris Deroeux – Médiapart

(…) L’histoire de Black Lives Matter commence en Floride avec l’affaire Trayvon Martin. La mort de cet Afro-Américain de 17 ans, le 26 février 2012, abattu alors qu’il rentrait chez lui à pied, puis l’acquittement en juillet 2013 de George Zimmerman, le vigile de quartier qui l’a tué d’une balle dans la poitrine, vont en effet déclencher une série de manifestations en Floride et dans quelque 130 villes à travers le pays.

À New York, en juillet 2013. © Iris Deroeux À New York, en juillet 2013. © Iris Deroeux

On y dénonce ce verdict, et bien plus encore : ces rassemblements sont l’occasion de débattre des lois de Floride très permissives en matière de légitime défense, d’une justice à deux vitesses qui desservirait les Afro-Américains, de l’état des relations interraciales aux États-Unis… La colère est telle que Barack Obama prend la parole et déclare « Il y a trente-cinq ans, j’aurais pu être Trayvon Martin. » Le président tente, comme l’analyse le journaliste Franck James de la radio publique américaine NPR, « d’expliquer l’Amérique noire à l’Amérique blanche ».

C’est une période de tension et de tristesse. Dans la presse nationale, les grands éditorialistes se disent inquiets, pessimistes. Eugene Robinson du Washington Post écrit alors : « Notre société considère les jeunes Afro-Américains comme dangereux, interchangeables, non indispensables, coupables jusqu’à preuve du contraire. C’est de ce débat sur la race que nous avons désespérément besoin mais que nous allons, probablement, comme dans le passé, tout faire pour éviter. »

Sauf que sur le terrain, la jeunesse est en fait en train de se réveiller. Il y a d’abord l’effet Twitter et réseaux sociaux : l’apparition de plusieurs hashtags en lien avec l’affaire Trayvon Martin, repris par des Américains aux quatre coins du pays, découvrant ainsi qu’ils sont très nombreux à s’indigner. L’un d’eux, bientôt le plus célèbre, est « Black Lives Matter ».

Il aurait d’abord été popularisé par Alicia Garza, 34 ans, habitante d’Oakland en Californie, où elle travaille pour le syndicat des travailleurs domestiques. Au lendemain du verdict, elle poste ainsi sur Facebook quelques mots invitant ses amis à se réunir et s’organiser afin de s’assurer que « la vie des Noirs compte ». Quelques-uns de ses proches, des gens déjà actifs politiquement, réagissent immédiatement et se disent qu’il est temps de canaliser l’énergie qui se déverse dans les rues du pays. Alicia Garza, Patrisse Cullors et Opal Tometi donnent donc naissance à une plateforme de discussion et d’échanges d’idées nommée Black Lives Matter. « Un forum devant permettre de relier les Afro-Américains et nos alliés afin de combattre le racisme, de susciter le dialogue entre les Afro-Américains, de faciliter l’action sociale et l’engagement », lit-on sur le site de cette structure, qui se décline désormais en des dizaines de sections locales à travers le pays. Et à chacun de ses posts sur Internet, ce trio ajoute le hashtag #Blacklivesmatter. Trois mots faciles à retenir, aussi efficaces qu’un bon slogan publicitaire, bientôt repris par des milliers d’internautes.

blmjaune © Black Lives Matter blmjaune © Black Lives Matter

Au même moment, en Floride, d’autres jeunes mêlent l’indignation sur les réseaux sociaux à l’action de terrain : ils commencent à créer de nouvelles associations pour reprendre le flambeau de la lutte pour les droits civiques. Sous l’impulsion de Phillip Agnew, 28 ans, naît ainsi le groupe multiracial et intergénérationnel des Dream Defenders (« Les défenseurs du rêve », en référence au « rêve » de Martin Luther King), en 2013. Ils s’expriment dans un langage radical qui deviendra bientôt l’une des marques de fabrique du mouvement naissant Black Lives Matter, que l’on va comparer au « Black Power » des années 1950 et 1960 porté par des figures comme Stokely Carmichael.

On trouve ainsi dans le manifeste des Dream Defenders une liste de revendications de ce type : « Nous voulons la fin de l’État policier et que les gens de couleur noire cessent d’être tués » ; « Nous pensons que notre libération passera par la destruction des systèmes économique et politique capitalistes ainsi que la patriarchie. Nous avons foi en l’humain plutôt que le profit. […] Nous croyons que les méthodes non violentes sont les seules à même de mener à notre libération […]. » Concrètement, au quotidien, ce collectif s’est lancé dans une mission éducative auprès des jeunes Afro-Américains défavorisés et du grand public, portant autant sur l’histoire des Afro-Américains que sur les problèmes spécifiques qu’ils rencontrent. Ils s’expriment sur Internet, lors de réunions de quartier et sur les campus de Floride. Et leur rhétorique résonne de plus en plus fort, notamment après l’affaire Mike Brown, à Ferguson dans le Missouri.

Cet événement va servir de véritable rampe de lancement national pour le mouvement Black Lives Matter.

Pour rappel, en août 2014, Mike Brown est abattu par un officier dans des circonstances floues. Son corps sans vie est ensuite laissé sur la chaussée pendant quatre heures, une bévue parmi d’autres de la part des autorités locales, ne faisant qu’amplifier la colère des habitants. Mauvaise communication de la part du commissariat local, manifestations sévèrement réprimées, déploiement de chars d’assaut et d’équipements militaires… Les images télévisées de Ferguson font le tour du pays, l’affaire Mike Brown prend une ampleur nationale. Et la colère dure, puisqu’en novembre, trois mois après les faits, on apprend que l’officier mis en cause ne sera pas poursuivi, faute de preuves suffisantes. Quelques mois plus tard, c’est encore la publication d’un rapport d’enquêteurs fédéraux dépêchés sur place par l’administration Obama qui met le feu aux poudres, révélant le fonctionnement raciste du commissariat de Ferguson (nous en parlions ici).

 

2015 © Black Lives Matter 2015 © Black Lives Matter

Mais là encore, cette période n’est pas seulement marquée par les manifestations et les tensions : des jeunes locaux se mobilisent, devenant bientôt des acteurs du changement dans leurs quartiers. Citons par exemple la naissance de l’association Hands Up United Mains en l’air », un autre slogan vu dans les manifestations en mémoire de Mike Brown), à Saint Louis. Elle a notamment lancé l’initiative « books and breakfast » qui consiste à apporter des livres, des petits déjeuners et à favoriser la discussion sur le racisme et les discriminations dans les quartiers défavorisés. Une trentaine d’autres villes s’en sont inspirées. (…)

0 0 votes
Évaluation de l'article
S’abonner
Notification pour
guest
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Translate »
0
Nous aimerions avoir votre avis, veuillez laisser un commentaire.x