Loi travail : Pour Maude Beckers, « Dire que c’est en facilitant les licenciements qu’on crée des emplois est ahurissant » – Basta !

Basta ! : On entend souvent parler de l’insécurité juridique dont seraient victimes les entreprises, qui ne pourraient, du coup, plus rien entreprendre. On parle moins de l’insécurité juridique des travailleurs, et des difficultés qu’ils ont à faire valoir leurs droits, notamment en cas de licenciement. Pourriez-vous décrire ces difficultés ?

Maude Beckers [1] : Quand on parle du code du travail, on présente souvent le droit de licencier comme très difficile, alors qu’il n’y a, en amont, rien qui fasse obstacle à un licenciement. Avant 1986, par exemple, il fallait demander une autorisation à l’inspecteur du travail pour licencier un salarié pour motif économique. Aujourd’hui, un employeur n’est plus obligé d’avancer une raison justifiée pour licencier un salarié. Il a la liberté totale de s’en séparer, que la raison soit juste ou pas, sans qu’il y ait de vérification en amont. Il est donc totalement faux de prétendre qu’il est difficile de licencier quelqu’un. Le seul contrôle qui existe sur un licenciement abusif, c’est celui du juge, en aval, si le salarié décide d’attaquer son employeur aux prud’hommes. Cette absence totale d’obligation de justifier un licenciement, c’est une première instabilité juridique pour le salarié.

La seconde instabilité juridique vient du fait que la juridiction des prud’hommes fonctionne mal. Tellement mal que les salariés attendent des années – jusqu’à quatre ans en région parisienne – avant que leur licenciement soit jugé comme abusif. Sans compter les procédures en appel que les employeurs ne manquent pas d’utiliser, qui leur permettent de provisionner les dommages et intérêts qu’ils auront à verser. En cas d’abus, cela porte les délais d’attente de règlement jusqu’à six ans ! Le discours ambiant sur l’insécurité juridique des employeurs est totalement contraire à la réalité. Dans nos cabinets, nous ne cessons de voir des salariés qui ont, par exemple, réclamé leurs heures supplémentaires non payées et qui se retrouvent abusivement licenciés le mois suivant, en s’entendant dire qu’ils sont nuls ou pas assez performants. Et ces abus de pouvoir ne sont réparés que des années après !

Certains salariés nous demandent s’ils peuvent intenter un procès à leur employeur quand leurs heures supplémentaires non payées deviennent trop nombreuses, quand leurs primes ne leur sont plus versées, quand ils ne peuvent plus avoir de vie privée tant ils ont de travail. Nous leur disons qu’ils peuvent, bien sûr, mais que nous ne pouvons, de notre côté, leur assurer qu’ils ne seront pas licenciés. Résultat ? Les salariés n’osent plus revendiquer leurs droits de peur d’être licenciés. L’insécurité juridique est vraiment du côté des salariés.

Le projet de loi El Khomri va-t-il aggraver ces injustices ?

En 2012, le Syndicat des avocats de France (SAF) a initié une procédure pour déni de justice à l’encontre de l’État français du fait des délais trop longs devant les juridictions sociales. Sur les 71 dossiers présentés, les juges ont été unanimes : les délais déraisonnables étaient tous dus à un manque de moyens matériels et humains. Le diagnostic est ainsi posé : ces juridictions fonctionneraient très bien si on leur donnait les financements nécessaires, notamment pour payer les greffiers et les magistrats grâce à qui ces juridictions peuvent fonctionner ! Suite à ce diagnostic, nous sommes allés négocier avec le gouvernement. Le Parti socialiste, qui était alors dans l’opposition, disait que l’indigence des conseils de prud’hommes était scandaleuse. Mais la loi Macron qui a été votée en juillet 2015 par les socialistes

via www.bastamag.net

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