Dix côtes brisées, le sternum enfoncé. L'oreille droite en lambeaux, l'autre arrachée. Blessures partout, le cou lacéré. Coeur, foie éclatés. La mâchoire brisée, les doigts de la main gauche coupés. Quand une femme (elle s'appelle, ça ne s'invente pas, Maria Teresa Lollobrigida) retrouve, fantomatique apparition dans les brumes matinales d'Ostie, le corps de Pier Paolo Pasolini, ce 2 novembre 1975, elle ne sait pas encore qu'elle a affaire à l'artiste le plus controversé d'Italie.
«Cela ne ressemblait pas à un homme, déclare-t-elle à la police. On aurait dit un tas de chiffons. J'ai pensé qu'un enfant de salaud avait déchargé des ordures devant chez moi.» On fouille le corps, ce qu'il en reste. Le sang du mort a rendu presque illisible son nom sur ses papiers. Un carabinier déchiffre, syllabe après syllabe, le nom de la victime. Et c'est enfin qu'il meurt officiellement, lui, Pier Paolo, le poète aux mille scandales.
Pasolini ! Le nom court de lèvres en lèvres, à la stupéfaction des carabiniers. Qui? On n'y croit pas encore. Il faut répéter, relire le nom encore. Le photographe s'approche et commence à mitrailler l'écrivain-cinéaste, tournant autour de sa dépouille comme un corbeau dans un monde sans ciel.
Le dieu des petits voyous
C'était la veille, à Rome, station Termini. Les passagers de l'express pour Turin traînent leurs lourds bagages en pestant contre la pluie. Au volant de sa Giulia, Pier Paolo, nerveux, se gare via Marsala, histoire de s'assurer qu'il n'a pas été suivi.
Le coup de fil qu'il a reçu, lui donnant mystérieusement rendez-vous à la gare, ne lui dit rien qui vaille, mais c'est la seule chance qu'il a de revoir les bobines perdues de «Salo», le film qu'il prépare dans le plus grand secret, et dont certaines séquences lui ont été volées dans la salle de montage. Le film de tous les dangers, de tous les scandales. Qui mettra la société italienne K.- O. – «Tous autant qu'ils sont, se dit-il, tous dans leur pourriture, dans leur merde !»
Pasolini redémarre, rejoint le boulevard qui mène à la grande gare romaine, ralentit dans la nuit où des hommes jeunes montent furtivement dans les voitures. Giuseppe s'approche. Ils se disent quelques mots, la voiture repart. Pasolini: «Tu as faim ?» Ils roulent vers la mer.
Pasolini le questionne à peine sur le film, les bobines volées. Il oublie tout, «Salo», son oeuvre, son terrible testament. Il oublie de s'assurer qu'ils ne sont pas suivis. «Oui, j'ai faim.» Giuseppe connaît un petit restaurant. C'est un voyou, il en veut à l'argent du grand homme. Du dieu des petits voyous? Ils mangent sans rien dire. Pasolini, submergé par l'émotion et le désir, n'a qu'une obsession. Le corps de cet enfant.
Ils repartent. On est près d'Ostie. Dans la voiture, pas un mot ne sera prononcé. Pour dire quoi ? La voiture roule lentement dans les faubourgs. Et voici la plage qui sert à tout, terrain vague et stade de foot, au milieu des ordures, aux mômes du quartier. Via dell'Idroscalo, dernier domicile connu de Pier Paolo. Il raconte quelques-uns de ses exploits à Giuseppe, lorsqu'il était joueur de foot, sa passion de toujours.
Le jeune homme voit bien que la voiture s'arrête. Il pense à tout l'argent qu'a sur lui Pasolini, qui cherche à l'embrasser. Giuseppe sort de la Giulia. Pasolini le poursuit. Giuseppe se retourne,
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