C'est peu dire que la démocratie sociale est gravement malade – si gravement qu'on peine à imaginer que son état puisse encore empirer. Et pourtant si ! Aussi anémiée soit-elle, elle risque d'affronter un plus grave danger encore. Pas seulement à cause de la suppression des élections prud’homales, qui est envisagée par le gouvernement, c’est-à-dire la suppression du dernier scrutin national au terme duquel les salariés peuvent voter en faveur du syndicat de leur choix. Mais aussi parce que ce projet est sous-tendu par une philosophie qui n’est pas explicite mais qui est hautement dangereuse, au terme de laquelle l’entreprise est le seul lieu légitime de la vie sociale. En clair, derrière la probable suppression de ces élections sociales, déjà passablement inquiétante à elle seule, se cache un projet réactionnaire de bien plus vaste ampleur, visant à achever la déréglementation sociale et accentuer l’émiettement du monde du travail.
Le gouvernement réfute, certes, ces interprétations et fait valoir que la suppression des élections prud’homales est une solution de bon sens, car la participation n’a cessé de décliner. À titre d’illustration, lors du dernier scrutin, le 3 décembre 2008, le taux de participation dans le collège « salariés » était tombé à seulement 25,5 %, contre 32,7 % en 2002 et même… 63,2 % en 1979. Face à cet irrémédiable déclin, il serait donc logique, selon le gouvernement socialiste, d’inventer un nouveau système.
C’est en usant de cette justification que le ministre du travail a annoncé une réforme visant à modifier le mode de désignation des juges prud’homaux, qui ne seront plus élus mais désignés par les confédérations syndicales, au prorata de leur représentativité, telle qu’elle sera constatée en agrégeant les résultats des élections des délégués du personnel dans les entreprises et ceux des délégués élus aux comités d’entreprise.
Concrètement, le gouvernement entend donc supprimer les élections prud’homales, qui initialement avaient été planifiées dans le courant de l’année 2014, avant d’être reportées à 2015. Cette suppression devrait être décidée par la voie d’une ordonnance. C’est le prochain projet de loi sur la formation professionnelle et la démocratie sociale, qui sera présenté en janvier 2014, qui prévoira ce dispositif : il contiendra en effet un article en ce sens. « Cet article de loi habilite le gouvernement à prendre par ordonnance les dispositions permettant de mettre en place de nouvelles modalités de désignation des juges prud'homaux s'appuyant sur la mesure de l'audience des organisations syndicales et professionnelles », indique le projet, dont une copie a été obtenue par l'AFP.
La procédure par ordonnance « permettra la construction du cadre juridique nécessaire » à cette réforme, argue le gouvernement, qui se donne « dix-huit mois » après la promulgation de la loi pour légiférer par ordonnance. Selon l'exposé des motifs du projet consulté par l’AFP, la justice prud'homale doit être « préservée », mais l'élection au suffrage direct des salariés a connu « ses limites » – nous y voilà ! – en raison de la chute de la participation. Le gouvernement entend baser la désignation des 14 500 conseillers prud'homaux sur « l'audience » des organisations syndicales.
Qui s’inquiétera donc de la possible suppression des élections prud’homales envisagée par le gouvernement ? Comme il s’agit d’élections qui, à chaque scrutin, mobilisent de moins en moins d’électeurs et que les syndicats qui sollicitent les suffrages des salariés sont eux-mêmes de moins en moins représentatifs, on pourrait penser que la puissance publique a de bonnes raisons d’envisager une telle réforme.
Dans la position du gouvernement, il y a toutefois une bonne part d’hypocrisie. Et puis, son projet recèl
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