"Le titre de votre livre, « The Mendacity of Hope », implique qu'Obama a délibérément trompé les électeurs progressistes. N'est-ce pas une attaque un peu dure ?
Je n'ai jamais été très « fan » d'Obama. Avant son élection, à l'automne 2008, j'avais écrit pour Harper's un article où je lui reprochais d'être dangereusement faible : durant l'été 2008, il avait laissé les républicains passer à l'offensive sans contre-attaquer. John McCain était remonté dans les sondages et, au final, je pense qu'Obama a été sauvé par la crise financière. À Harper's, notre critique d'Obama avait commencé bien avant, avec un article intitulé « Obama Incorporated » (que l'on peut traduire par « Obama SA », NDLR). C'était un examen de ses « investisseurs politiques », qui indiquait quels types de politiques il suivrait.

Selon moi, la meilleure façon de comprendre les deux partis aux Etats-Unis, c'est d'examiner leurs coalitions économiques respectives. En tant que sénateur, Obama était très timide, il se positionnait au centre du parti démocrate. Et il a annoncé très tôt qu'il était « ouvert aux affaires », comme un homme politique conventionnel. Je ne voyais donc pas pourquoi il gouvernerait différemment en tant que président. Et c'est ce que nous voyons depuis deux ans. La rhétorique était vide, et je ne suis pas le seul à l'avoir pointé. Elle était certainement stimulante, mais sans véritable contenu. Comme nous l'avons vu depuis qu'il est président, à chaque fois qu'il est rentré dans les détails, il s'est éloigné de ses promesses. Par exemple, il a promis à de multiples reprises durant la campagne que la réforme de l'assurance-santé comprendrait une « option publique » (c'est-à-dire un système pris en charge par le gouvernement, NDLR). Mais il a lâché cette option très rapidement dans le processus législatif, parce qu'il n'y tenait pas vraiment. Cela a été amplement rapporté, mais on a également vu très vite quelle direction il prenait quand il a nommé tous ces anciens des administrations Clinton : Larry Summers, des protégés de Robert Rubin comme le secrétaire au Trésor Tim Geithner, ou bien un homme d'argent corrompu comme Rahm Emanuel. Sa tentative de confier à Tom Daschle la réforme de la santé a montré d'emblée la direction envisagée (Daschle était un ancien sénateur démocrate devenu lobbyiste pour l'industrie privée de la santé, dont la nomination par Obama a échoué parce qu'il n'avait pas correctement déclaré tous ses revenus au fisc, NDLR). Je ne pense pas qu'il soit juste de dire qu'il a essayé de faire des choses et qu'il a échoué. Je pense au contraire qu'il a fait exactement ce qu'il voulait.
Peut-on dire la même chose de sa volonté de fermer Guantanamo ? C'était une de ses premières promesses, mais il n'a pas réussi à la mener à bien en raison d'une forte opposition et d'un échafaudage juridique complexe.
Nous étions tous ravis des décisions prises dans les premiers jours. Il a interdit le « supplice de l'eau » (waterboarding), même si Bush avait cesser de l'utiliser. C'était néanmoins un beau geste symbolique. Il a ordonné la fermeture de Guantanamo et du réseau des sites noirs de la CIA. Mais aujourd'hui, même si le waterboarding est abandonné, d'autres formes de tortures continuent d'être utilisées. Guantanamo est toujours ouvert. On peut éventuellement dire qu'il a honnêtement tenté de fermer cette prison, mais il n'a jamais renoncé aux principes de Guantanamo, c'est-à-dire une détention illimitée sans procès, décidée par le président. Obama a maintenu cette appropriation de pouvoir par l'exécutif, cette affirmation que le président possède l'autorité arbitraire de décider si quelqu'un sera jugé ou pas. C'est cela le vrai problème, ce trou noir juridique, pas le camp à Cuba ! Très vite, il est apparu clairement que ce problème ne serait pas résolu. Obama voulait juste transférer certains détenus dans une prison sur le sol des Etats-Unis, où certains seraient jugés d'autres non, certains devant une cour civil, d'autres devant une cour militaire, et d'autres encore qui resteraient dans les limbes. Peut-être qu'un jour Guantanamo sera fermé, mais il n'a pas montré de détermination à se battre pour cette fermeture. Et si la Chambre des représentants repasse entre les mains des républicains en novembre, cela sera un combat encore plus difficile. La question des sites noirs a été traitée de manière ambiguë. L'ordre présidentiel a été rédigé de manière très restreinte, et ne s'applique qu'aux sites de la CIA, pas à ceux de l'armée. Les sites noirs du commandement des forces spéciales (JSOC), qui était dirigé auparavant par le général Stanley McChrystal, sont demeurés ouverts. Il existe des rapports crédibles qui font état d'un site noir qui continuerait à fonctionner à Bagram, en Afghanistan. Obama a continué, pour l'essentiel, les politiques de lutte contre le terrorisme initiées par Bush. Il a juste baissé la rhétorique d'un cran, abandonné le langage de « la lutte globale contre la terreur », utilisé des arguments légaux plus intelligents pour faire la même chose.
Quand vous dites que « le système fonctionne en faveur des partis plutôt qu'en faveur du public », cela signifie que la démocratie américaine ne fonctionne pas.
Oui, c'est cela. Elle ne fonctionne que pour les « véritables citoyens », qui sont les riches. Nous avons une sorte de démocratie parmi les très riches, ceux qui ont les moyens de financer les partis. Moins de 1% du corps électoral donne assez d'argent pour être enregistré comme donateur (c'est-à-dire donner au moins 200 dollars). Ceux qui ont vraiment de l'influence sont les bundlers, ceux qui rassemblent plein de contributions. Aujourd'hui, nous avons un cens électoral officieux, à la manière des démocraties originelles, où il fallait justifier une certaine quantité de biens ou de revenus pour voter. Aujourd'hui, le véritable vote, ce sont les contributions électorales. Plus vous contribuez, plus vous comptez. C'est une représentation proportionnelle via les contributions financières. Et on ne parle même pas des lobbies…