Etait-ce la motivation de votre trilogie scientifique (sur Copernic, Kepler et Newton) ?
J’étais très jeune. J’avais l’ambition d’être un grand «romancier européen d’idées». En lettres capitales ! A cette époque, un éditeur utilisait cette expression pour désigner une collection de livres de poche appelée «Maîtres modernes». Il y aurait eu George Steiner, Kafka, Heidegger, de grands critiques écrivant sur de grandes figures. Je voyais déjà mon nom sur la couverture. Mais les personnalités réelles ne fonctionnent pas dans la fiction. J’ai perdu des années à le découvrir. La fiction a ses propres règles. La fiction est une sorte de songe. Jeune, je ne le réalisais pas. Je la voyais comme un processus entièrement rationnel.
Quand l’avez-vous compris ?
Vers 40 ans, j’ai commencé à écrire beaucoup plus instinctivement. Je pense qu’il faut un certain temps pour se laisser aller, pour laisser les choses advenir. La fiction obéit à un processus de rêve. Benjamin Black, de son côté, est éveillé. Le roman noir obéit à certaines règles. Vous pouvez avoir un roman avec un meurtre, éventuellement. Mais vous ne pouvez pas écrire un polar sans meurtre. Cela doit y être. Benjamin Black n’est pas libre et il pratique à la fois une forme de liberté. Je suis fier des Black. La fierté de l’artisan.
Dans Infinis, vous prenez beaucoup de liberté avec la réalité ?
Oh, Infinis est un livre très réaliste. Il porte sur la manière dont nous vivons. Dans une fiction, tout est possible, tout devient plausible. J’ai toujours été fasciné par les relations entre le lecteur et le texte. Un lecteur croira à un monde fantastique qui devient totalement réaliste une fois lu. C’est là le merveilleux de la fiction. Un univers d’imagination pure. L’imagination fait la vie. La conscience d’être mortel fait vivre. J’ai écrit une petite pièce pour la radio, Conversation in the Mountains (2008), sur la rencontre entre le poète Paul Celan et Heidegger dans la petite maison dans les bois du philosophe allemand. Personne ne sait de quoi ils ont parlé. Probablement de météo ! J’ai imaginé Paul Celan lui demandant pourquoi il était devenu un nazi. Et Heidegger répondant : parce que le nazisme a donné une place centrale à la mort dans nos vies.
Votre narrateur est un Dieu, Hermès. Pourquoi ce choix ?
Tout écrivain est un dieu qui invente des mondes. Le génie des Grecs anciens était d’avoir inventé ce système extraordinaire pour tenir compte de tous les aspects de la vie, de ses événements naturels. Le mythe que je reprends pour mon prochain John Banville est celui de Perséphone, la fille de Déméter. La jeune fille est contrainte par son père Zeus de passer six mois aux enfers. C’est un moyen merveilleux d’expliquer les saisons. C’est un désastre absolu que la culture classique disparaisse du système éducatif. Je pense que beaucoup de lecteurs d’Infinis n’ont aucune idée de qui était Hermès. Ils sont obligés de chercher dans Google ! C’est une grande perte. Les mythes grecs expriment nos désirs et nos peurs les plus profonds. Mon prochain livre reprend des personnages de deux de mes premiers romans. Un homme cherche la raison du suicide de sa fille dix ans auparavant. D’où le mythe de Perséphone : il essaye de la ramener à la vie.
Avez-vous souffert de votre éducation catholique ?
Je lui suis reconnaissant pour le sens de la culpabilité qu’elle transmet. Cela ne se perd jamais. La culpabilité s’avère productive pour un artiste. Elle dote d’une sensibilité au monde, au péché, au tragique. Je crois que la vie est surtout tragique, ce qui ne signifie pas malheureuse ou sombre.
Comment écrivez-vous ?
Chaque jour, de 10 heures à 18 heures. Pour moi la plus grande invention de l’être humain est la phrase. Il y a eu des civilisations qui n’avaient pas la roue, mais qui avaient la phrase. C’est ce q
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