Pouchkine, en chair et en faux – Libération

L’éditrice de Belfond se renseigne, décide de reprendre les droits. Elle trouve ça «absolument génial : ce portrait d’un jeune homme possédé par la mort et la chair est si différent de la mesure de Pouchkine. Et personne n’a prouvé que ce n’était pas le véritable journal secret de Pouchkine». Mais Pouchkine, le sobre nuage qui écrivait au lit comme on s’éveille, comme on s’endort, avec la ténébreuse insouciance de la grâce et dans les plis des draps, aurait-il écrit de sa belle-mère : «C’est une vraie salope, énervée contre tout le monde parce que personne ne veut la baiser à part les garçons d’écurie de Polotnyani Zavod»? Aurait-il aussi mal pastiché Bataille, plagiat par anticipation, en écrivant du sexe d’une femme : «Je peux l’admirer, mais finalement je me rue dedans et mon désir trouve la mort en lui. Avant de mourir, il expérimente la grande extase de voler. La différence c’est que ce "vol" dans le con n’est pas une chute impétueuse mais un mouvement de va-et-vient»? Pouchkine a certes écrit des poèmes obscènes, pornographiques, surtout dans sa jeunesse, lorsqu’il arpentait les bordels. Mais, à la fin de sa vie, il écrit plutôt ça : «A un enfant empli de grâce,/ Je dis : adieu ! Tu joues, tu ris,/ Et moi je dois céder ma place :/ La mort m’attend et tu fleuris.» (1)

L’auteur du Journal secret, publié en 1986,est sans doute Mikhail Armalinsky. Il le suggère dans l’avant-propos. Armalinsky, né à Saint-Petersbourg en 1947, a quitté l’URSS en 1976 pour les Etats-Unis. Il vit à Minneapolis. Son site précise qu’il a traduit la Philosophie dans le boudoir, publié des livres tels que Sur les deux aspects de l’orgasme ou Une brève histoire de la prostitution. Michel Aucouturier, traducteur de Pouchkine, Gogol, Tolstoï, rappelle en souriant «qu’on y retrouve des faits de la vie de Pouchkine, sur lesquels l’auteur a fantasmé. Pouchkine a publié entre autres un poème blasphématoire, la Gabriéliade, très voltairien, où la Vierge est successivement possédée par l’Esprit Saint, Satan et l’ange Gabriel. Le tsar l’a convoqué, il a longtemps nié l’avoir écrit, avant de le reconnaître.» André Markowicz, traducteur d’Eugène Onéguine, trouve l’aventure de cette pochade «juste idiote, car, pendant ce temps on ne lit pas Pouchkine». Il a chez lui les 25 tomes de l’édition russe de 1949. Peu de choses sont traduites. Et il n’y a pas de journal : Pouchkine a brûlé le sien en 1825, pour protéger ses amis décembristes, qui avaient conspiré contre le tsar. On ne sait donc pas quel était le style de ses journaux. Mais quel est le style de Pouchkine ? C’est compliqué, il les a tous, n’en a aucun. Il est la forge aérienne de la langue russe. Markowicz : «Pouchkine ignore les métaphores, il n’écrit pas par énigmes, ne cache jamais le sens. Tout est toujours la surface. A la surface, et dans une forme tout à fait inouïe d’éloignement : l’évidence.» Il ajoute : «Les faux de Pouchkine, c’est une longue tradition russe. Chaque époque a le sien. Pouchkine, c’est la littérature. Pour la première fois en Russie, Je est un autre, personne et tout le monde.» Tout faux de Pouchkine est donc une atteinte, une révision ou une grimace de l’identité russe.

Vaudeville. Un vieil homme aurait confié le Journal secret à Armalinsky, avant son départ. Lui-même l’aurait refilé à l’ambassadeur de Hollande pour qu’il le fasse sortir. Cette allusion suffit à révéler le canular : l’homme qui tua Pouchkine en duel, un gandin français nommé d’Anthès, était l’amant de l’ambassadeur de Hollande en Russie, Van Heeckeren, qui l’avait adopté. Pouchkine est alors acculé. Le tsar en personne relit ses œuvres, l’empêche de s’éloigner de Moscou et de quitter la Russie. Il bénéficie d’un régime de faveur et de censure qui le paralyse et le rend suspect aux yeux d’anciens amis. Il étouffe, se fane, cherche le duel comme on saute dans le

via www.liberation.fr

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