6 % de la production annuelle mondiale de richesses : c’est la fortune aujourd’hui de 1 011 milliardaires, selon le classement annuel du magazine Forbes. L’homme le plus riche de France (et d’Europe), Bernard Arnault, aurait augmenté sa fortune, au cours de la seule année 2009, de 11,5 milliards d’euros… Et ce ne sont là que les milliardaires. Alors que le capitalisme mondialisé connaît une crise historique, les inégalités de revenus s’aggravent et la pauvreté augmente. Il est aujourd’hui courant de voir ces chiffres affichés comme des reproches, et on ne compte plus les articles consacrés au creusement des inégalités accusé, depuis le milieu des années 1980, de fragiliser l’équilibre social tant à l’intérieur des pays riches qu’entre les pays du Nord et du Sud.
Nos indicateurs économiques sont d’ailleurs trop imprécis pour mesurer pleinement l’étendue de ce constat.
Le Produit intérieur brut (PIB), rapporté aux habitants, n’est pas forcément un bon indicateur de l’accès aux soins, à l’éducation, ou à une certaine qualité de vie pour tous. Si le coefficient de Gini [1] permet de mesurer le niveau d’égalité en matière de distribution des revenus dans un pays donné, il n’indique pas encore les choix réels qui s’offrent aux individus de ce pays. L’Indicateur de développement humain (IDH), développé par le philosophe et économiste Amartya Sen, améliore notre perception des choses : il permet de saisir le niveau d’accès à des biens fondamentaux considérés comme les biens essentiels pour accéder à une certaine autonomie. Utilisé dans le cadre du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), cet indicateur est révélateur de la faible corrélation, pour une société donnée, entre richesse collective et autonomie des individus (à titre d’exemple les États-Unis classés 13e selon les critères retenus par l’IDH sont le pays le plus riche de la planète lorsque la richesse est mesurée par le PIB brut, et arrivent en 4e position en termes de PIB/hab en parité de pouvoir d’achat). Encore faudrait-il s’entendre sur ce que l’on nomme richesse : le PIB intègre comme richesse tous les liens sociaux qui se traduisent par un échange monétaire, mais il ne peut mesurer ni la qualité de ces liens, ni l’existence de liens non monétarisés. Les enjeux écologiques modifient ce tableau de l’inégalité des richesses et de nos outils pour l’appréhender, comme le montre Aurélien Boutaud dans l’article qui ouvre le dossier.
C’est d’ailleurs sous cet angle que l’on assiste aujourd’hui à un retour de la critique des « gros », des « riches », de ces minorités qui captent une part jugée indécente des revenus nationaux, dont le mode de consommation serait symptomatique des maux de notre temps (à ce sujet on peut citer le succès d’édition d’Hervé Kempf, Comment les riches détruisent la planète [2]). Ce type de critique s’était développé au XVIIIe siècle, dans un contexte de défense d’un idéal politique : ainsi les riches n’étaient pas tant accusés de détruire la planète que de favoriser la servilité des uns et la domination des autres, de nourrir des mécanismes de corruption, bref d’empêcher l’émergence de rapports sociaux placés sous le signe de l’égalité citoyenne [3]. Gareth Stedman Jones a pu montrer comment, entre la fin du XVIIIe siècle et la fin du siècle suivant, la question de la pauvreté avait changé de nature : de question politique, elle était
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