Nadeem Aslam a la courtoisie chevillée au corps, une capacité d’attention intense, et c’est heureux, car il n’a pas chômé, depuis janvier dernier. Son dernier roman, Le Jardin de l’aveugle, est sorti d’abord en Inde, une semaine plus tard en Angleterre, puis aux Etats Unis, puis en Europe, un peu partout, France comprise. On le demande.
Assis bien droit devant son thé vert, il a l’air de prendre plutôt sereinement l’intérêt passionné que soulève son livre. On le pressent, on le comprend en lisant son roman, l’ancien adolescent fuyant le Pakistan à 14 ans (voir videos), avec anglais minimal, qui a recopié à la main certaines des œuvres majeures de la littérature mondiale afin de mieux en démonter les ressorts, n’entendait pas seulement devenir un bon écrivain, mais un grand. Il s’amuse des réceptions très différentes du Jardin de l’aveugle, en orient et en occident. A l’est, on voit d’abord l’amour indéfectible qui unit Naheed et Mikal, alors que tout, société, morale, convenances, guerre, terrorisme, prison, contrarie celui-ci. A l’ouest, on accuse le choc devant ce roman qualifié de sombre ou déchirant, qui n’épargne ni les talibans, ni les chefs de guerre affairistes, ni la police pakistanaise corrompue, ni les Américains en phase de vengeance aveugle après le 11-Septembre. Mais ici, la littérature transcende la géopolitique et confère au réel une densité, une complexité, une vie, auxquelles les meilleurs des reportages n’atteignent jamais.
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Roses, mangues, jacarandas, kapokiers, bougainvillées, arbre à musique, glycines, nénuphars, jasmin… le jardin, dans une bourgade du nord Pakistan, est au cœur du récit. C’est un ilôt, le refuge parfumé, odorant, sensuel, le lieu de l’intimité amoureuse ou familiale. Il est pourtant amputé et en danger, ce jardin : Rohan, le patriarche dont la vue est menacée, y a créé, longtemps avant, l’école de L’esprit ardent, y a construit une madrasa où toutes les classes portent le nom d’un des hauts lieux de la culture islamique : Cordoue, La Mecque, Bagdad, Grenade… Désormais, un taliban a pris la direction de l’école, perdurent les chutes de pétales, comme des pluies.
C’est ici qu’ont grandi Jeo, le fils de Rohan, et Mikal, fils adopté issu, lui, d’un couple communiste assassiné par la police lorsqu’il avait six ans. Mikal, astronome autodidacte, poète des étoiles et génie de la mécanique, fugueur avéré, et Jeo, qui termine ses études de médecine, sont très proches. Même si Mikal s’est épris, définitivement, de Naheed (amoureuse en retour) laquelle a dû épouser Jeo, un meilleur parti.
Le jardin est un ilôt, mais autour, c’est le déchaînement. Le livre, qui s’achève à la veille du Printemps arabe, s’ouvre dans l’immédiat post-11-Septembre, alors que les USA organisent des "attaques ciblées" qui ne le sont guère. La rue pakistanaise bruit de rage, de chagrin, de désirs guerriers, de haine, de théories conspirationnistes. Des hauts-parleurs, dans les rues, clament : « Nous réduirons l’Amérique à la taille de l’Inde, l’Inde à la taille d’Israël, Israël au néant ».
Nadeem Aslam le souligne : « L'une des choses les plus humiliantes, pour un écrivain, est la corruption du langage. Par exemple,
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