Défaire les mythes des Trente Glorieuses – Page 2 | Mediapart

Le premier chantier suppose de remettre « à la bonne distance analytique la geste modernisatrice nationale », en rappelant par exemple que « malgré l’automatisation, ou parfois à cause d’elle, le travail ouvrier mobilise intensément et répétitivement les corps, use et expose à de nouveaux risques. »

L’ouvrage réfléchit à la façon dont les imaginaires et les histoires racontées ont été travaillées par « des cosmogonies du progrès dans une période de reconstruction, marquée par un débat sur le déclin national et une culture de l’urgence et de la mobilisation héritée de la guerre, où les élites modernisatrices s’assignent explicitement l’objectif de construire une nouvelle mystique nationale ». Comme, par exemple, le récit de la révolution industrielle qui, « centré auparavant sur ses méfaits sociaux, embrasse alors un optimisme triomphant et la révolution industrielle devient la matrice pour penser et évaluer la modernité en marche. »

Une cosmogonie qui oublie à quel point la fierté industrielle nationale se fonde, en large partie, sur l’exploitation minière des anciennes colonies. L’historienne américaine Gabrielle Hecht montre ainsi, dans l’ouvrage, comment le développement nucléaire n’aurait pu exister sans les colonies et les ex-colonies. C’est d’ailleurs souvent sous la plume d’historiens étrangers, davantage que sous celle de chercheurs français façonnés pendant leurs études par la geste modernisatrice, que sont venues les premières remises en cause de la période « glorieuse » de l’après-guerre.

L’américain Robert Frost a par exemple été le premier à analyser les tensions et compromis passés entre dirigeants et syndicats et les formes expertes de construction du futur énergétique de la France et de l’intérêt de la nation « et la façon dont ce credo technocratique déclara une sorte de guerre culturelle à une autre France. »

Le second chantier ouvert par ce livre vise à « réintégrer dans le récit historien les externalités du modèle de développement adopté après 1945. » Afin de percevoir que le décollage économique de la France est aussi l'histoire « d'un changement d'échelle de la contribution des Français à l'empreinte humaine sur la planète, et de l'entrée dans un modèle de développement non soutenable, avec des effets directs et des effets de long terme induits par des choix technico-économiques difficilement réversibles ».

Cette approche permet de saisir, par exemple, au sujet du nucléaire, « la tension et le télescopage entre la temporalité historique courte de trois décennies, la temporalité plus lente et moins glorieuse de la dégradation des corps des mineurs africains, et la temporalité longue de la biosphère et de l'atmosphère ». Ce qui n'est pas synonyme, pour les auteurs, de « substituer un récit de régression à un récit progressiste ».

C’est pour cela que les auteurs ouvrent un troisième chantier en redonnant « voix aux alertes sur les « dégâts du progrès », aux controverses et conflits autour de la modernisation. » En effet, contrairement à une image fabriquée a posteriori selon laquelle les espaces dissonants ne se seraient manifestés qu’après 1968, « de nombreuses et prestigieuses voix se sont au contraire élevées pour dénoncer les facettes inhumaines du « progrès » et pour signaler l’environnement comme un problème urgent et mondial. »

Cette partie de l’ouvrage est

via www.mediapart.fr

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