Denis Peschanski: «Le camp de Rivesaltes représente la tache indélébile de Vichy» – Page 1 | Mediapart

MEDIAPART : Que pensez-vous du faux pas d’Aurelie Filippetti ?

DENIS PESCHANSKI : Il m’apparaît stupéfiant qu’elle n’ait pas compris à quel enjeu symbolique elle tournait le dos. Pourtant, Christian Bourquin avait attiré l’attention de la ministre. « Pas le temps », fut l’explication officielle. Aurélie Filippetti est-elle insensible aux questions mémorielles, aux musées, aux archives ? Obéit-elle aux logiques territoriales d’une élue de la Lorraine manifestant un moindre intérêt pour un projet éloigné de sa circonscription ? Je ne peux que formuler des hypothèses, en ajoutant un paramètre et non des moindres : ce n’est pas elle qui a la haute main sur le dossier d’un tel chantier…

La colère de Christian Bourquin, n’est-ce pas le coup de gueule d’un Sisyphe ?

Christian Bourquin porte le projet depuis 1998. D’abord comme président du conseil général des Pyrénées-Orientales, puis, à partir de 2010, lorsqu’il succède à Georges Frèche, en tant que président du conseil régional Languedoc-Roussillon. Il a toujours dû lutter pour que l’État assumât ses responsabilités, en se heurtant à des faux-fuyants financiers et surtout politiques : sous Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy, la droite, qui poursuit le rêve de conquérir les Pyrénées-Orientales, faisait en sorte qu’aucun signe de l’État ne vînt soutenir Bourquin, qu’il fallait donc fragiliser en vue des élections cantonales, tous les trois ans. Si bien que malgré les bonnes paroles parfois venues du sommet de l’État, les reculades n’en finissaient pas sur ce dossier. D’autant que l’un des interlocuteurs principaux, le ministère des anciens combattants, fut sans doute celui qui changea le plus souvent de titulaire. Jean-Marie Bockel, par exemple, un socialiste rallié à l’ouverture sarkozyste, manifestait un vif intérêt pour le mémorial de Rivesaltes, mais il ne resta qu’un an en fonction (de mars 2008 à juin 2009)…

Aujourd’hui, la constellation est idéale…

Il est vrai que le président du Sénat, Jean-Pierre Bel, est élu de l’Ariège voisine, où se trouvait en outre le camp du Vernet. Il est vrai également que le président de l’Assemblée nationale, Claude Bartolone, était à la tête du conseil général de Seine-Saint-Denis (93) et a soutenu le Mémorial du camp de Drancy, inauguré en septembre 2012 par François Hollande. Le président de la République, on l’a constaté ce mois-ci à Oradour, est sensible à cette question mémorielle. Il arrive après la coupure effectuée du temps de Chirac-Jospin (reconnaissance de la responsabilité de l’État français durant l’occupation nazie), par rapport au dogme incarné par de Gaulle puis Mitterrand (la République, première victime de Vichy, n'a pas à s'excuser pour cet État français qui avait fait le choix de la collaboration).

J’ajouterais, dans cette constellation institutionnelle, le soutien au mémoriel de Rivesaltes qu’apporte l’actuel ministre délégué aux anciens combattants, Kader Arif, né en Algérie en 1959, fils de harki, ayant ainsi passé quelques mois au camp de Rivesaltes dans sa prime jeunesse, quand sa famille fut « rapatriée » dans l’Hexagone après 1962.

Rivesaltes apparaît comme un incroyable mille-feuille…

Ce camp militaire de 600 hectares, baptisé Joffre, a servi, sur quelques 300 hectares, de « lieu de regroupement » pour les Républicains espagnols fuyant le franquisme dès 1938. En 1940, il y a des Allemands s’étant soustraits au nazisme. À partir de 1941, c’est le tour des juifs étrangers. Et des Tziganes chassés d'Alsace-Moselle. À la Libération, y sont enfermés des collaborateurs et des trafiquants du marché noir, puis des prisonniers de guerre allemands. Le camp ne ferme qu’en 1948, mais l’h

via www.mediapart.fr

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