« Contrairement à une idée répandue, la véritable éradication du Moyen Âge à Paris n’a pas été menée à son terme par Haussmann et Napoléon III mais par Malraux et Pompidou, et l’œuvre emblématique de cette disparition définitive n’est pas le Cygne de Baudelaire mais plutôt Les Choses de Perec. » De Haussmann, tout a été dit, même si le rappel de certains lieux disparus, du détail de la destruction, est utile. Mais de la fièvre moderniste (et affairiste) de la période gaulliste ? Hazan, pour le coup, s'inscrirait bien dans la tradition des démolitions, et il faut dire que l’évocation des grandes œuvres de l’époque est déprimante. Outre le monumental ratage des Halles, la tour Montparnasse ou la fac de Jussieu, le palais des congrès de la Porte Maillot, pour n’en citer que quelques-unes. « Dans les années 1960-1970, l’architecture française était au plus bas (…) Et dans un néfaste effet de ciseau, la corruption, la collusion au sein des sociétés d’économie mixte entre les promoteurs et les truands du gaullisme parisien étaient au plus haut. »
Mais l’amour des lumières, des passages, de l’harmonie des places oubliées (heureusement négligées par les nouveaux aménageurs d’espace), ne serait qu’amour de pierre ou appel à une nostalgie convenue si la passion de Hazan pour le peuple n’irriguait tout le livre. Et comme cela ne suffisait pas, une troisième partie, intitulée le Paris rouge. On croit connaître, savoir, on découvre toujours, le souvenir se concrétise sur un angle de rue, qu’il s’agisse de 1848, de la Commune, de la Résistance. Les limites, les quartiers dessinent aussi une carte politique, « les Champs-Élysées sont l’axe majeur du Paris de la collaboration », Belleville est rouge, tout comme en 1848, 1870. Ce n’est pas, dans le livre, simple évocation, mais rendez-vous avec le futur. Éric Hazan a depuis écrit Paris sous tension (lire ici l’entretien alors publié par Jean Robert Velveth). L’Invention de Paris s’achève par ces lignes : « Ceux qui pensent qu’à Paris la partie est finie, ceux qui affirment n’avoir jamais vu d’explosion dans un musée, ceux qui chaque jour travaillent à ravaler la vieille façade républicaine devraient réfléchir aux variations de cette grandeur qui n’a cessé, au fil des siècles, de surprendre tous leurs prédécesseurs : la force de rupture de Paris. »
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