Aujourd’hui, l’ancien institut éducatif est une demeure bourgeoise aux volets clos, occupée par un historien d’art bulgare spécialiste du peintre Malévitch. A l’intérieur du bâtiment subsistent le grand escalier et les coursives menant aux dortoirs dont les portes battantes ne s’ouvraient que dans un sens pour empêcher les fugues. Dans la cour, un puits, dont certains affirment qu’il ne faudrait pas aller chercher profond pour y trouver des cadavres.
Régis fait le guide dans son pick-up hors d’âge jusqu’à l’étang de Mont. Un endroit magique et effrayant, où les filles de l’institut des Vermiraux venaient «faire» le linge. Régis conduit jusqu’à la ferme de Mont, l’annexe des Vermiraux, encore plus paumée au milieu des champs, dont il ne reste que quelques pierres. Au début du XXe siècle, plus de 4 000 enfants étaient placés dans le secteur sud d’Avallon, dont plusieurs centaines dans l’institut de Quarré-les-Tombes.
Les enfants étaient moins bien nourris que des animaux. La quantité d’aliments était insuffisante et la viande, rare, était souvent pourrie. La soupe avait un goût «détestable, sentant le purin»
, lit-on dans le réquisitoire. Les vêtements ? Des sabots et des guenilles. Un témoin, cité au procès, raconte : «Une personne arrivant là, non prévenue, se serait crue sur l’île de Robinson Crusoë.» Les dortoirs ? Il y avait moins de lits que de pensionnaires : 71 pour 88. Ceux des «incontinents» étaient faits de paille jamais changée. Un jour, le directeur de la circonscription de Melun recule à la porte du dortoir tant l’odeur est infecte. Lorsque le dortoir fut fermé,«on mit les pupilles qu’il contenait dans l’écurie des vaches, […] on les envoya ensuite à Mont, d’où ils ressortirent trois mois plus tard dans un état épouvantable avec la teigne, la gourme, des feux et […] des plaies sur le corps.» Un autre témoin : «Ces enfants n’avaient plus rien d’humain. Ils étaient une dizaine contre le mur, rampants, sales, décharnés, à moitié vêtus.»Quand ils se tiennent mal, les orphelins sont punis, enfermés pendant plusieurs jours dans une grange. L’un d’eux, qui avait pris froid, est mort d’une infection. Beaucoup veulent s’évader. «Ils préfèrent croupir en prison plutôt que de rester dans les dortoirs.»
Certains meurent sans avoir jamais reçu de soins. «Ces enfants, a expliqué le docteur Martin, médecin de l’institut entendu par le juge d’instruction, n’ont reçu aucun soin en raison du vide de la pharmacie et de la nécessité où je me trouvais de ne pas faire de frais.»
Un des gardiens, Paul Laresche, profitait de sa fonction pour s’adonner à ce que le Journal, publication de l’époque, avait dénoncé comme des «messes noires». Il abusait sexuellement de nombreux enfants. Les plus faibles surtout. Certains se sont suicidés. D’autres morts d’épuisement. «Je n’ai pu m’empêcher, a témoigné Madame Cormier, gardienne à l’hospice d’Avallon, d’être indignée par l’état lamentable dans lequel le jeune Bisson, 8 ans, se trouvait. Son corps, à partir de la ceinture jusqu’aux pieds, était couvert de plaies, d’ulcères, d’abcès. Il était d’une maigreur squelettique et on l’avait amené à Avallon pour qu’il ne mourût pas aux Vermiraux.» Un jour, les enfants se sont révoltés. Ils mettent le foyer à sac. Quand arrivent les autorités, ils parlent. Marie-Laure parcourt le réquisitoire, abasourdie : comment cette histoire a-t-elle pu rester méconnue ?
«L’économie du secret»
En 2004, Emmanuelle Jouet, compagne d’Olivier – le frère de Marie-Laure – prépare une thèse en science de l’éducation sociale. Cette grande femme brune accompagne Marie-Laure lorsque elle interroge les habitants. Même réponse, un unique souvenir devenu une expression locale : «Si tu n’es pas sage, t’iras aux Vermiraux.» La thèse d’Emmanu
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