Le monde français des courses hippiques vit actuellement une révolution. Mais curieusement, personne n’en parle, et c’est un tort car les mutations en cours, loin de ne concerner que ce microcosme professionnel, sont en fait très révélatrices de certaines tendances de fond qui bouleversent le capitalisme français.
Arrivée massive de financements en provenance du Qatar et de quelques autres monarchies du Golfe, déréglementations accélérées des courses pour drainer de l’argent facile et favoriser la multiplication des paris en ligne, au risque de favoriser les comportements d’addiction : c’est tout l’univers économique de ce secteur qui connaît un séisme. Tels sont les enseignements principaux de l’enquête que nous avons conduite, avec l’aide avisée de notre confrère Guy de La Brosse, qui, dans le passé, a fréquemment écrit des chroniques hippiques pour Le Monde et qui anime une lettre spécialisée, La Tribune hippique.
Pour quiconque connaît les milieux huppés des courses de chevaux de course, le constat saute, de fait, aux yeux : de très longue date, ils se sont entrecroisés avec les milieux d’affaires et les sommets de l’État, dans un système consanguin qui est la marque du capitalisme français.
Cela a été vrai dès le Second Empire. Qui ne se souvient de la grande passion du demi-frère de Napoléon III, le duc Charles-Auguste de Morny, alias le Nabab ? Ministre de l’intérieur et homme de cheval, le demi-frère du despote était tout cela à la fois. Si la France lui doit peu, le monde des courses lui doit beaucoup : c’est lui qui a eu l’idée de créer en 1857 l’hippodrome de Longchamp pour offrir aux chevaux un terrain plus accueillant que celui, cabossé, du Champ-de-Mars, qui était utilisé depuis 1807 ; c’est lui encore qui a pris l’initiative de créer une course réputée, le Grand prix de Paris ; et c’est lui enfin qui fonde, en 1861, l'établissement touristique et balnéaire de Deauville, réputé tout à la fois pour ses courses de chevaux – ultérieurement pour ses ventes aux enchères de yearlings – et pour son casino.
Les archives hippiques en portent la trace : les premières courses de chevaux eurent lieu dans cette ville le 14 août 1864, sur l’initiative de Charles-Auguste de Morny. Figurant dans la deuxième course de la journée, un cheval portant les couleurs du duc (casaque rose, toque rose), « Gentilhomme », fut devancé par une pouliche dénommée Fidélité.
Et, entre courses et casino, spéculation et agiotage, c’est donc cet homme-là qui joua aussi au gré de ses envies avec la presse, achetant des titres puis les revendant, selon que cela servait ses intérêts financiers ou ses intérêts politiques – c’est-à-dire, pour l’essentiel, les intérêts de son demi-frère, Napoléon III. Dès avant 1848, il prend ainsi – secrètement – une participation dans Le Constitutionnel, qu’il revend en 1852 à son ami, le spéculateur Jules Mirès, qui a mis ce journal au service de l’empire dans le but à peine caché d’obtenir en retour une part des marchés publics.
Et quelques années plus tard, il rachète au même Jules Mirès quelques-uns de ses journaux, Le Constitutionnel, La Presse et Le Pays, quand l’homme faisant partie des intimes de Napoléon III doit rendre compte de ses malversations devant la justice. Ainsi se joue à l’époque l’avenir des journaux
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