Le Festin du Reich, l’entretien avec Fabrizio Calvi – de la collaboration économique à l’exploitation nazie des corps et des biens…

Lefestindureich

La
Seconde Guerre Mondiale, le nazisme, le régime de Vichy, ont
encore des secrets. Dans "Le Festin du Reich", aux Editions
Fayard, Fabrizio Calvi et Marc Masurovski révèlent
comment l’architecture administrative et militaire nazie a pu, en
France, avec le soutien de collaborateurs européens et parfois
même américains, organiser le pillage de la France et
des victimes. Avec le cynisme le plus radical, les Nazis leur ont
fait financer la Shoah et les crimes de masse à l’Est…

Entretien
avec Fabrizio Calvi.

JCG
: Vous expliquez que votre travail consiste à «
labourer un terrain laissé jusqu’ici en friche, celui du
lien existant entre la Shoah et des crimes économiques qui
peuvent parfois sembler à première vue anodins.
»
Est-ce à dire que, non content de commettre des crimes qui ont
relevé de l’accusation de génocide, les Nazis ont
organisé le financement de ces crimes par la captation des
richesses des vaincus et notamment de la France ?

FC
: Dans notre ouvrage nous rappelons qu’à Nuremberg, les
crimes contre l’humanité comprenaient les actes de pillage
et de vol commis contre les populations civiles, la redistribution du
butin, le dépôt de valeurs spoliées dans des
banques d’Etat ou privées, et l’utilisation des gains
illicites pour rémunérer les auteurs du pillage. Le
pillage est un instrument à part entière du programme
d’extermination de la communauté juive. L’acte de
spoliation des biens et avoirs juifs est un crimes contre l’humanité.
Les individus et institutions qui consacrent leur temps, leur
énergie, leurs moyens à paupériser la communauté
juive de France sont coupables de crimes économiques et de
crimes contre l’humanité. La caractéristique des des
« crimes de guerre économiques » est d’avoir été
commis aux moyens d’instruments économiques (financiers,
industriels, commerciaux) dans le cadre de la persécution et
de l’élimination physique d’hommes, de femmes et d’enfants
à raison de leur appartenance à des groupes raciaux,
ethniques et religieux. A` la barbarie s’ajoute ici l’ignominie
: en s’associant au programme génocidaire de l’Allemagne
nazie, les auteurs de « crimes économiques » en
retirent des avantages matériels. La collaboration économique
revêt un aspect dramatique par son association à la
Solution finale de la question juive…

JCG
:
Comme
Madame Annie Lacroix-Riz pour son travail sur « Le Choix de la
Défaite »
,
vous avez eu accès à de nombreuses et nouvelles
archives qui, jusqu’à présent, n’étaient pas
disponibles, étaient interdites. Votre ouvrage, "
Le
Festin du Reich
",
dévoile des archives et des informations inédites. Les
historiens qui peuvent fouiller et savoir exploiter de telles
archives vont au devant de découvertes bien pénibles.
Quelle est l’information que vous avez ainsi trouvé et qui
vous a le plus peiné, dégoûté ?

FC
: Il n’y a pas une information en particulier .En fouillant
dans les archives , pour certaines inédites , nous avons
réalisé l’horreur « économique «
du système d’appauvrissement de la communauté juive.
Il est terrifiant de constater l’ampleur des complicités qui
ont favoriser le pillage. C’est avec stupéfaction que nous
avons réalisé que la position des Américains
était beaucoup plus « nuancée » qu’on ne
l’avait cru. On savait que les banques américaines avaient
continué à faire commerce avec les nazis pendant toute
la guerre mais l’ouverture des archives concernant les activités
de la Chase et Morgan à paris entre 1940 et 1945 révèle
l’ampleur du cynisme de ces établissements bancaires. Morgan
et Chase ne paieront aucune amende, leurs biens ne seront jamais
séquestrés pour infractions aux lois et ordonnances
réprimant le commerce avec l’ennemi. Il faut attendre près
d’un demi-siècle pour que le dossier soit entrouvert. En
France,
la
commission Matteoli
,
chargée par le Premier ministre Lionel Jospin de rédiger
un rapport sur les
indemnisations,
dénonce sans trop de détails les banques anglo-saxonnes
présentes à Paris entre 1940 et 1944. La Barclays et JP
Morgan se manifestent les premières et annoncent la
constitution d’un fond de réparation de 6 362 500 dollars
destiné entre autres aux familles et aux descendants de leurs
clients juifs qui ont vu leurs comptes confisqués et jamais
rendus. Aux Etats-Unis, Chase et Morgan passent en catastrophe des
accords avec le Congrès juif mondial pour un montant
officiellement « secret » mais qui semble dérisoire
au regards des bénéfices accumulés par les deux
établissements bancaires pendant la guerre. Dans le même
temps, en l’an 2000, JP Morgan et Chase fusionnent pour donner
naissance à un des principaux groupes bancaires de la planète.
Les affaires continuent sans que les banques américaines ne
rendent trop d’argent ou de comptes.

JCG :
Dans son ouvrage déjà cité,
Madame
Lacroix-Riz

traite longuement du rôle de certains cadres dirigeants de la
Banque Worms dans le mouvement synarchique, et dans la préparation
de la défaite. PucheuA
la tête de cette banque, il y a
Hippolyte
Worms
,
Paul Baudouin,
Pierre
Pucheu
,
Gabriel
Le Roy Ladurie
,
Jacques
Barnaud
,
« le premier cercle de Laval, le groupe le plus pro-allemand
de France
». « La section économique de la
branche Recherche et Analyse » des « tout jeunes services
secrets américains » établissent que « la
firme bancaire et industrielle Worms & Cie rassemble des hommes
qui exercent un grand pouvoir au sein du gouvernement de Vichy,
contrôlent nombre de ses postes vitaux et se servent de ce
pouvoir pour protéger leurs propres intérêts
commerciaux et collaborer pleinement avec les Allemands. (…) Ce
groupe dont les membres sont liés par les mêmes idées
réactionnaires, par les liens du mariage et par des connexions
industrielles communes (…) la Worms joue sur tous les tableaux ».
C’est sans doute le summum du cynisme pragmatique. Et que se
passe t-il pour cette banque et pour ces hommes à la
Libération ? Est-ce que la Banque Worms qui existe toujours a
encore, selon vous, des comptes à rendre pour cette
collaboration ? `

FC
: Au début de l’année 1942, les tout jeunes services
secrets américains (COI, rapidement rebaptisé OSS)
passent au crible l’économie française. La section
économique de la branche Recherche et Analyse (Research &
Analysis, ou R&A) consacre pas moins de six rapports à la
seule banque française Worms et Cie : « La firme
bancaire et industrielle française Worms & Cie rassemble
des hommes qui exercent un grand pouvoir au sein du gouvernement de
Vichy, contrôlent nombre de ses postes vitaux et se servent de
ce pouvoir pour protéger leurs propres intérêts
commerciaux et collaborer pleinement avec les Allemands, peut on lire
dans le rapport no 6 du COI. Ce groupe dont les membres sont liés
par les mêmes idées réactionnaires, par les liens
du mariage et par des connexions industrielles communes, comporte des
hommes associés de bien des manières aux milieux
d’affaires américains et anglais. On peut s’attendre à
ce que les membres de ce groupe cherchent leur propre protection en
cas de victoire alliée ou allemande, et mettent leurs
importantes relations internationales au service du vainqueur, quel
qu’il soit. Ils œuvreront à une paix négociée
impliquant une réorganisation de l’Europe sur des bases
libérales et qui les laisserait jouir de leur autorité
financière, industrielle et politique. Ils constituent une
menace pour le succès allié, surtout par leur capacité
à contraindre le gouvernement de Vichy à une
collaboration de plus en plus étendue, et par leur habileté
à se servir de leurs connexions anglaises et américaines
en faveur des objectifs et attentes des nazis
»
L’inquiétude du COI tient aussi au fait que la Worms joue
sur tous les tableaux : « Les six hommes qui sont au cœur
de la Worms & Cie (MM.  Worms, Meynial, Labbé,
Pucheu, Le Roy Ladurie et Barnaud) divergent dans leurs adhésions
et leurs inclinations politiques. MM. Worms, Meynial et Labbé
entretiennent des liens étroits avec l’Angleterre. MM
Pucheu, Le Roy Ladurie et Barnaud, quant à eux, admirent
l’efficacité allemande et espèrent sans doute une
victoire nazie et l’organisation du continent sous une direction
allemande.
Depuis Compiègne, cette dernière
faction exerce sur Vichy une influence et un ascendant qu’on ne
saurait trop exagérer.
» Le 10 décembre 1945,
Pleven, ministre des Finances du Gouvernement provisoire de la
République française, informe Jefferson Caffery,
ambassadeur américain à Paris, que la banque Worms a
modifié ses équipe de direction conformément aux
recommandations d’une commission d’enquête spéciale
conduite par M. Postel-Viney. Pleven, ce faisant, se portait garant
du fait que la banques a rempli les conditions nécessaires,
aux yeux du gouvernement français, pour obtenir la levée
des sanctions frappant leurs avoirs aux Etats-Unis, et que Paris
était disposé à le certifier. Il réclamait
donc la levée des restrictions imposées à cette
banque. Un an et demi après la Libération, il n’était
plus question d’engager des procédures criminelles visant à
châtier des crimes de guerre économique commis par les
responsables de la finance et de l’industrie françaises. Il
s’agissait simplement d’« écarter » les
personnes jugées responsables à titre individuel
d’actes de collaboration économique, sans pour autant
engager la responsabilité de la banque proprement dite. De ce
fait, Pleven se trouvait en meilleure posture vis-à-vis des
Américains pour réclamer le déblocage des avoirs
de ces banques. Un mois plus tard, l’Assemblée Constituante
adopta la loi sur la nationalisation des banques et l’organisation
du Crédit, rédigée par Pleven mais marquée
par l’intervention personnelle du général de Gaulle.
Les banques privées visées par la loi (Crédit
Lyonnais, Société Générale, Comptoir
d’Escompte, BNCI, Paribas, Crédit Industriel et Commercial,
Crédit Commercial de France, et Banque de l’Union
Parisienne) s’étaient distinguées par leurs activités
en faveur des autorités allemandes et de l’effort de guerre
nazi sous Vichy . On peut se demander si cette loi n’aura pas servi
à sonner le glas de l’épuration économique en
France et le maintien en place des élites financières
et industrielles qui avaient facilité la collaboration
franco-allemande et qui avaient pris, désormais, les rênes
de la reconstruction du pays. Deux ans après la libération
de la France par les armées alliées, les autorités
américaines dressèrent un bilan de la politique
française en matière de répression des crimes
économiques relevant de la « collaboration économique
». Le rapport note que les nouvelles orientations de la
politique du gouvernement français ont freiné la
campagne d’épuration économique des banques et des
entreprises qui avaient collaboré avec les Allemands : «
A` notre connaissance, les tribunaux n’ont été
saisis d’aucun dossier de collaboration économique, excepté
pour ce qui a trait aux limogeages.
». Les enquêteurs
américains observent que « les relations personnelles
et d’affaires ont dû jouer un rôle important pour
justifier la complaisance des autorités françaises.

».

Pour
lire l’intégralité de l’entretien
(10 pages word,
les questions sur Laval, le rôle de la noblesse française
et européenne dans la collaboration, l’implication de quelques
hauts responsables américains, …)
Téléchargement
ENTRETIENJCGRELLETYAVECFABRIZIOCALVI.pdf

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Anonyme
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18 années il y a

Bonjour Grell’
Concernant les travaux de la commission Matteoli, où en sont-ils actuellement, car outre les biens mobiliers, il s’agit également de pans entiers de Paris qui ont changé de main durant la dernière guerre ?
Notamment dans le 4ème arrondissement…

grellety
18 années il y a

Non, mais je vais me renseigner. Ce qui est certain, c’est que les indemnisations, comme la réappropriation des appartements, des biens, auraient dû être réalisées juste après la guerre, et pas soixante ans plus tard. Pourquoi la France de la Libération n’en a pas été capable ? Parce que la France de la Libération n’a pas voulu réaliser une épuration digne de ce nom. Et qui n’a pas voulu qu’une telle épuration se fasse, alors que Jean Moulin, avant son arrestation, en faisait une priorité ?
Le Général de Gaulle…

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