Le génocide des Tutsis 20 ans après (5/5) : l’idéologie hamitique – Page 1 | Mediapart

À l'occasion des vingt ans du génocide des Tutsis, de très nombreux livres sont ou seront publiés, mais s'il fallait choisir un titre à lire au milieu de cette profusion d'ouvrages, ce serait sans doute Rwanda, racisme et génocide – L’idéologie hamitique, des historiens Jean-Pierre Chrétien et Marcel Kabanda, à la fois par la précision de l'archéologie du génocide qu'il déploie, et la façon dont il montre que ces massacres qui se sont déroulés en terre africaine appartiennent aussi à l'histoire européenne.  

Les auteurs s'affirment d'emblée soucieux que l'énormité de l'événement de la mort de plus de 800 000 personnes en 100 jours ne vienne brouiller la vision qu'on en a, puisque, comme l'écrivait Hannah Arendt à propos d'un autre génocide « l'immensité même des crimes commis donne aux meurtriers qui proclament leur innocence à grand renfort de mensonges l'assurance d'être crus plus volontiers que les victimes ».

Pour bien montrer que le génocide n'était pas une « fatalité inscrite dans les gènes de la population rwandaise » et ne constituait pas un « objet ethnographique », mais bien le « produit, très moderne, d'une option politique extrémiste, jouant ouvertement du racisme comme une arme de contrôle », les deux historiens estiment nécessaire le recours à la longue durée.

Selon les deux hommes, qui ont également été experts auprès du Tribunal pénal international pour le Rwanda, « cette mise en condition de tout un pays aurait été impossible sans l'inscription durable dans la région des Grands Lacs d'une idéologie intrinsèquement raciste, discriminant sous les étiquettes hutu et tutsi, des autochtones et des envahisseurs, une majorité naturelle et une minorité perverse, le "vrai peuple" rwandais et une race de "féodaux" ».

Cette construction d'une idéologie distinguant les « vrais Africains » des « faux nègres » – ceux qu'on appelle les Hamites et auxquels seront ensuite assimilés les Tutsis – date des années 1860. Le schéma racial qui opposa, jusqu'à bâtir les cadres du génocide, Hutus et Tutsis est donc « né dans le même creuset que celui opposant Aryens et Sémites, c'est-à-dire le fantasme qui a embrasé l'Europe dans les années 1930-1940 ». Ainsi, parmi les textes fondateurs de ces divisions raciales, « on trouve dans les deux cas ceux de Gobineau », écrivain et diplomate français, auteur, en 1855, de l'Essai sur l'inégalité des races humaines.

Le premier temps de cette genèse mortifère du modèle rwandais est donc à chercher sous la plume d'une anthropologie européenne racialiste à prétention scientifique qui s'accompagne de hiérarchies morales et esthétiques. Un aspect important de celle-ci est l'hypothèse, lancée par Gobineau d'une ancienne « coulée blanche », 5000 ans avant notre ère, qui serait à l'origine de tout trait de civilisation que les observateurs européens pourraient découvrir en Afrique. De même qu'il oppose « Sémites » et « Indo-Européens », Gobineau distingue en effet « Hamites » et « Nègres » et inaugure ainsi une vision de l'Afrique marquée par ce modèle hiérarchique « où on mêle organisation politique, niveau technique, habillement, traits physiques et esthétiques, expliquées par le degré plus ou moins poussé d'influences extérieures "blanches" ».

La Revue d'anthropologie de Paris

via www.mediapart.fr

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