Quelques médias, des
plus sarkozystes aux plus récents, qui prétendaient stigmatiser il
y a quelques mois encore « le système des éléphants »,
dénoncent volontiers la division au sein du PS, «le combat entre
les personnes», etc… Ils ont les yeux de chimène -et quelle
chimère !- pour l’UM, mono-lithique-tone, parti dictatorial. Les
spécialistes de la superficialité généralisée n’ont rien à nous
et vous apprendre sur ce nouveau Congrès du Parti Socialiste. Les
enjeux humains et politiques sont réels et considérables. Depuis
2002 et plus encore depuis 2007, la droite la plus extrémiste est au
pouvoir, législatif et exécutif, et s’en donne à coeur joie dans
la synthèse du pire possible : affaiblissement systématique et par
tous les biais possibles des conditions et des revenus de 80% de la
population, finances publiques qui partent à vau-l’eau, et ce à
cause de la politique récessionniste menée depuis 2002, qui vise à
détruire le plus possible d’emplois, chasse aux citoyens d’origine
étrangère et de condition modeste (car les sans-papiers fortunés
et mafieux sont, eux, les bienvenus). Et, alors que la défaite
idéologique et culturelle de la droite est totale, depuis des
décennies déjà, et de manière plus emblématique encore avec la
fameuse «crise», l’opposition officielle s’oppose mal, ou peu. Le
Congrès de Reims a donc pour objet de trancher entre les hommes et
les femmes de gauche, socialistes, qui refusent cette situation
générale, et ceux qui s’en accommodent, bien ou non, et ce faisant
envisagent la possibilité d’un gouvernement d’union nationale avec
cette droite-extrême droite. En fait, il s’agit donc d’un Congrès
d’une très grande importance puisqu’il doit conduire à déterminer
l’identité des futurs responsables du PS, les idées générales,
réactualisées, les possibles décisions à effet immédiat ou de
court terme. Car si le parti socialiste est, législativement et
exécutivement, dans l’opposition, par ses victoires aux élections
régionales et communales, il est le parti du Territoire. Mais
inscrit dans l’espace, il l’est aussi dans le temps, parce que, au
fur et à mesure de son Histoire, il a marqué, par ses dirigeants et
leurs décisions, le présent et le visage de la France. Il y a une
Histoire des désirs et des idées de la gauche populaire, et, si un
Fillon peut fanfaronner sur une prétendue victoire idéologique, il
faut interroger sur ce qui, dans l’Histoire, les principes et les
acquis de la République revient à la droite. Rien ou presque rien.
La compréhension de cette Histoire, transnationale, avec celle de la
démocratie, depuis la Grèce antique, jusqu’aux impasses actuelles
qui exigent de repenser le rapport du peuple et des puissants ainsi
que le rapport du peuple à la connaissance du vrai, et de cette
Histoire nationale et partisane permet de ramener un peu de raison
dans l’évaluation de la valeur du parti socialiste en particulier et
de la gauche française en général. Cette importance est réelle,
et ce n’est pas finie. Mais pour préparer ce qui vient, les
intellectuels ne sont pas les seuls à devoir être écoutés, mais
ils doivent l’être aussi. Michel Henry, qui est mort il y a quelques
années, en laissant une oeuvre féconde, a écrit un
essai, «Le
Socialisme selon Marx», publié depuis peu par les éditions
Sulliver. Dans cet essai, Michel Henry entend démontrer que Marx est
allé à «l’économie» par souci des choses et des êtres, les
«hommes vivants», et ce afin de contrer l’idéalisme hégélien,
mais que le marxisme a été une longue traduction-trahison d’une
pensée et d’une oeuvre obsédée, comme les plus grands penseurs
post-kantiens allemands et européens, par la vie. C’est pourquoi
Henry répète que «la thèse de Marx, c’est que l’économique
n’est qu’une abstraction, c’est que la réalité économique n’est
pas la réalité véritable», à savoir «la vie subjective
individuelle», ce qu’un certain prétendue marxisme devenu
pouvoir politique a précisément chercher à écraser. Contradicteur
de cet idéalisme, «pour Marx, le travail n’existe pas. Il n’y a
que des travaux concrets, individuels, déterminés, subjectifs,
qualitativement différents», contrairement à ce que les
chantres du capitalisme en font dans la propagande, une généralité
aveugle, «travailler plus… ». «Marx est un
philosophe de l’économie» et sa compréhension de celle-ci
s’inscrit dans le projet utopique, comme les humains le sont dans
leur essence, des sans-lieux. Et dans la vie de ces hommes, depuis
leur lointaine apparition jusqu’à aujourd’hui, la vie ne se définit
pas et ne se résume pas au et par «le travail», abstraction de
celles et ceux qui ne travaillent pas mais spéculent. «(…) le
procès de production est le théâtre d’une modification décisive
(…) : la diminution progressive en lui du travail vivant, sa
libération donc en vue d’autres tâches (…) celles de la
culture. » Et cette dernière partie du livre est
essentielle, car elle éclaire parfaitement «la crise» dont on nous
rebat les oreilles : «c’est l’essence de la production qui a
changé : n’étant plus défini par la praxis subjective, le procès
de production a cessé d’être un procès de travail», et «ainsi
l’autodestruction du capital est-elle identiquement le mouvement
historique par lequel le travail vivant posé comme fondement de la
valeur se trouve éliminé du procès de production.» «On ne
condamne pas l’économie marchante, on assiste à sa fin.» Dès
lors, «le socialisme est-il autre chose alors que la conséquence
de cette contradiction (…) sa prise de conscience ? » Et
«la production fondée sur la valeur d’échange disparaît de ce
fait et le procès de production immédiat se voit lui-même
dépouillé de sa forme mesquine, misérable, antagonique. C’est
alors le libre développement des individualités», et ce
processus a commencé déjà depuis des décennies, et s’accélère
aujourd’hui. Les hommes de gauche et les socialistes sont donc prêts
et adaptés pour les évènements et leurs significations. Leur passé
es déjà remarquable et noble, leur avenir est encore plus
remarquable, comme toujours, sous conditions – comme la vie…
Le congrès de Reims est important, seule le droite s’en amuse.
Elle a tort.
Oublions-la et regardons-nous, regardons l’état du monde, de même celui du parti socialiste…
Devant les propositions, motions et rivalités de personnes, je m’avoue quelque peu perdu. La seule clarté dans l’actuel bourbier est à mes yeux que les socialistes ne savent toujours pas s’ils sont réformateurs ou révolutionnaires.
Or, la crise actuelle, qui traduit avant tout une crise morale profonde, peut-elle se combattre par des réformes ? Je le crois de moins en moins, et je crois de moins en moins les socialistes capables de participer utilement à ce qui se prépare : une révolution à l’échelle de l’Europe, voire du monde.
Dans un parti démocratique, il y a nécessairement une pluralité, une diversité et des desaccords, ainsi que des différents, des conflits de personnes, puisqu’il y a des ambitions légitimes. Celles et ceux qui veulent diriger le parti pensent tous qu’ils sont les meilleurs pour cela, et qu’ils vont le faire sur les meilleures orientations. Il n’y a que les médias français pour présenter cela comme un problème. Il faut dire que les journalistes, rémunérés par des journaux ou des médias qui appartiennent aux amis de M. Sarkozy, n’aiment rien tant qu’avoir une feuille de route déjà établie, avoir un chemin tout balisé, des pré-textes déjà écrits, et de ce point de vue, l’UMP, un beau parti dictatorial, les régale. Le PS ne sera jamais à cette « hauteur », et tant mieux ! Réformer, c’est vouloir et pouvoir modifier en profondeur une réalité; et dans ce que le gouvernement de droite a fait depuis 2007, il y a peu de réformes, sauf dans le pire (l’affaiblissement du code du travail). Une réforme, ce n’est pas à la portée d’un Darcos et cie. Donc, réformer, cela peut provoquer une évolution « révolutionnaire ». Par exemple, la loi de 1905 a constitué une réforme profonde de l’Etat français, devenant « laïc », et à l’époque, les intégristes catholiques l’ont très mal pris et vécu, mais depuis, la « laïcité », dans ses principes et dans son esprit, a profondément marqué l’identité et la culture française. Il y a des réformes révolutionnaires, et il y a des révolutions anti-révolutionnaires, qui provoquent des régressions. Alors, les socialistes comme les hommes et les femmes de gauche souhaitent des réformes révolutionnaires, et c’est là que cela coince, c’est que les socialistes sont peut-être autant en panne que la société française et les intellectuels le sont. Lire des donneurs de leçons dans Libé, alors qu’ils n’ont rien à proposer, cela fait sourire. Or, pour pouvoir proposer des perspectives de réformes révolutionnaires, il faut penser complètement et à fonds. Et c’est pour moi le signe le plus tangible de notre époque : une superficialité généralisée qui a une haine profonde pour la pensée, une peur…