Le lendemain, à Yokohama, à une trentaine de kilomètres au sud de Tokyo, c’est l’ouverture de la Triennale d’art contemporain. Yoko Ono a fait coller de grandes affiches répétant le mot «rêve». A l’intérieur du musée, elle a fait poser un téléphone qu’elle appelle de temps à autre pour s’entretenir avec le visiteur ayant décroché par hasard. Son grand truc en tant qu’artiste est de «faire participer le public», l’inciter à graffiter les murs, planter des clous, monter sur un escabeau, ce qui ne manque pas de poser des problèmes aux personnels des musées. Lancée en 2001, la Triennale s’est depuis imposée comme un rendez-vous qui compte dans le continent. Elle est affublée d’un titre qui lui avait été attribué bien à l’avance : «Our Magic Hour» («notre heure de magie»), bien peu prédestiné à la catastrophe. Elle a été à deux doigts d’être annulée. Son budget a dû être revu à la baisse, et le film de vingt-quatres heures The Clock(Libération de vendredi), qui avait fait sensation à l’ouverture de la Biennale de la Venise, ne peut être diffusé la nuit, en raison du rationnement de l’électricité. Son auteur, Christian Marclay, a quand même fait le déplacement.
«Nous avons dû réduire le nombre des artistes invités, mais aucun ne s’est désisté», se félicite la directrice artistique, Miki Akiko. Soixante-seize sont représentés jusque début novembre, beaucoup de la jeune création japonaise. Né à Tokyo, mais de père vietnamien, Jun Nguyen-Hatsushiba a déployé les images d’une course collective au Japon et au Vietnam, voulant dessiner un parallèle entre l’exode des boat people et le déplacement des populations de Fukushima. Foulée silencieuse le long des ruines. Sur la façade d’un bâtiment, Krzysztof Wodiczko, Américain né à Varsovie, mêle les récits des sauveteurs à ceux de GI revenus d’Irak. Entrecoupés de coups de feu : autant dire qu’on est dans le choc du témoignage, plutôt que dans la recherche esthétique…
La Triennale coïncide avec les commémorations du 66e anniversaire de la bombe de Hiroshima, le 6 août. Des arbres en fleurs, dans le parc aménagé autour du dôme squelettique ayant survécu à l’explosion, 50 000 personnes ont entendu le maire appeler le pays à se dégager de l’emprise du nucléaire. Dans le Mémorial, un cahier d’écolier brûlé, une poupée noircie, un paysage d’apocalypse traversé par un piéton…
Sur les hauteurs de la ville, au musée d’Art contemporain (Moca), Yoko Ono a reçu le prix «L’esprit de Hiroshima» pour l’ensemble de sa création comme «pionnière de l’art conceptuel depuis les années 60» : musique, poésie, vidéo, performance. Au musée, elle a monté une exposition, qu’elle a dû remanier de fond en comble après les événements du printemps. Comme elle le fait depuis une trentaine d’années, elle a posé des wish-trees, arbres sur lesquels les visiteurs peuvent déposer des souhaits. «Enfant, je faisais cela dans les temples», explique-t-elle.
Dans une salle sombre, devant des images de villes détruites, elle a disposé des silhouettes en plexiglas représentant les victimes «invisibles» et, un peu plus loin, un cimetière de velours sombre dans lequel résonne le croassement des corbeaux. De petits objets brisés sont entassés, dont une horloge. Ses aiguilles sont bloquées sur 14 h 46: l’heure du déclenchement du séisme du 11 mars. D’une boîte noire suinte un filet de sang. Au milieu du parcours, l’artiste a aussi fait installer des portes, récupérées de son appartement du Dakota Building, devant lequel John Lennon a été assassiné à New York. A ces installations, elle a su insuffler une certaine grâce en répandant sur le sol des petits oiseaux en papier découpé, représentant des grues qui, dans la tradition, symbolisent la longévité. Une idée qui lui est venue sur place lors de l’installation. «Le présent seul compte pour moi, confie-t-elle. Je ne veux pas êtr
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