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Nicolas Duvoux, sociologue à Paris-Descartes, n'a pas peur d'utiliser le terme «assistés». Il l'a même repris dans le titre de son livre, L'Autonomie des assistés (ci-contre, détails sous le “Prolonger”). Comme un
défi à l'idée reçue selon laquelle les bénéficiaires de minima sociaux
se complaisent dans la pauvreté, l'apathie et l'oisiveté. «Pour le
sociologue, l'assisté, c'est celui qui est pauvre, qui doit être aidé»
par la solidarité nationale: selon l'Insee, la France compte 8 millions de pauvres, qui vivent avec moins de 880 euros par mois.Mais
pour beaucoup de Français, «assistés» est évidemment péjoratif: «Ce terme évoque des gens en situation de dépendance par rapport à la collectivité, comme si, derrière la protection sociale institutionnalisée, se masquait une déliquescence morale», dit Duvoux. Avec le flot
d'images qui s'y rapportent: les
pauvres (ou les Roms) qui roulent en BMW – un thème cher à Nicolas Sarkozy –,
les journées passées à jouer à la console au lieu de chercher du
travail, le travail au noir, ou encore les «allocations-braguette» –
l'idée selon laquelle les pauvres, souvent étrangers, font des enfants
pour toucher les allocations familiales.«Ces représentations ont émergé dès la fin des années 1970 aux Etats-Unis», à la fin de l'âge d'or économique
de l'après-guerre, raconte Hélène Périvier,
économiste à l'OFCE (Sciences-Po). «Le républicain Ronald Reagan (président de 1981 à
1989) truffait ces discours sociaux de références à la “Welfare Queen”»,
cette femme pauvre de la banlieue de Chicago qui roulait prétendument
en Cadillac, adorait le champagne, et aurait fraudé 150.000 dollars à
diverses caisses sociales en s'inventant 80 noms, 30 adresses, et quatre
maris décédés.Un personnage inventé, comme l'a prouvé le livre du
journaliste américain David Zucchino, Myth of the Welfare Queen (ci-contre). N'empêche: le cliché
du pauvre oisif et fraudeur a fait florès. Y compris en Europe, où il a
largement inspiré les politiques, de droite mais aussi de gauche à
partir du milieu des années 1990.Dans l'inconscient collectif des Blancs américains, la «Welfare Queen» était bien souvent noire. «Les programmes sociaux sont faits pour aider les plus
pauvres, et les plus pauvres sont aussi généralement les populations
dominées, des femmes ou des personnes issues des minorités ethniques»,
rappelle Hélène Périvier, de l'OFCE.«Mentionner l'assistanat dans le débat politique, c'est utiliser un langage codé, insiste Nicolas Duvoux. Ce terme évoque souvent, sans qu'il soit besoin de les nommer, les étrangers.» On saisit mieux pourquoi Patrick
Buisson, le conseiller de Nicolas Sarkozy, place la «lutte contre
l'assistanat» sur le même plan que l'immigration ou l'identité
nationale…Les
Français qui tancent les «assistés»
sont-ils pour autant tous racistes?
via www.mediapart.fr