En prêtant l'oreille à cet homme de 64 ans, vous n'êtes pas sûrs de décrocher au bout de trois minutes, comme vous en aviez peut-être l'intention au moment de lancer la vidéo ci-dessous : vous risquez d'être happés par le magnétisme, le verbe et la conviction du tribun – Henri Guillemin (1903-1992).
Henri Guillemin fut un proto-indigné. Un Stéphane Hessel avant la lettre. Un produit de la méritocratie française vomissant l'imposture de nos élites. Issu de l'École normale supérieure, agrégé de lettres, docteur d'État – sa thèse était consacrée à Lamartine –, Henri Guillemin, professeur à la faculté de Bordeaux et résistant, se réfugia en Suisse pendant l'occupation nazie. Après la guerre, ce chrétien robespierriste allait exercer une fonction diplomatique (attaché culturel auprès de notre ambassade à Berne), alors que la diplomatie n'était pas son fort. Nulle trace, chez lui, de cette molle courtoisie propre aux chancelleries. Il n'avait rien de crayeux, il était métallique.
Il était surtout inclassable. Catholique révolté aux accents de Jupiter tonnant, enfermé dans sa thébaïde d'où il prenait le parti des masses, il pratiquait une histoire traditionnelle, positiviste, cette “petite histoire” à la papa (André Castelot) habituellement bonne à distraire et à endormir le peuple. Pourtant, il en faisait un instrument d'intelligence et de mobilisation. Ses recherches le situaient dans le sillage du monarchiste Emmanuel Beau de Loménie (1896-1976), qui montra comment les « dynasties bourgeoises », à la faveur de l'Empire, jetèrent leurs filets sur une France pillée par leurs soins effrénés. Toutefois, Henri Guillemin était un républicain solidaire des révolutionnaires de 1792, toujours du bon côté des barricades de 1830, 1848 et 1871. Guillemin chérissait la justice, au point de haïr ceux qui la confisquaient.
Il pourrait, dans les limbes et la naphtaline, en une poignée de survivants, luire comme un ostensoir. Or il fait son chemin dans les consciences de tous âges, grâce à utovie, une petite maison en passe de rééditer l'ensemble de son œuvre. Il faut se jeter, en particulier, sur son étude incomparable, Nationalistes et nationaux : la droite française de 1870 à 1940, dans laquelle il traque « la question d'argent », reconstituant les « pistes brouillées » par ceux « résolus à prendre sans rien donner et à charger la multitude de payer pour eux ». Il sait, écrit-il dans sa postface, qu'il sera traité de « tendancieux » pour avoir porté un « éclairage trop vif ».
via www.mediapart.fr