Fukushima essaie de faire comme si… – Libération

Les masques sont à la contamination radioactive ce qu’étaient les digues au tsunami. De la protection de papier. Devant des étagères de médicaments, Yukiko Eguchi le sait bien. Cela ne l’empêche pas de s’épancher ; besoin de parler derrière son masque blanc. Elle est pharmacienne, gérante du Hashi Drug. Une petite femme, digne, mais vacillante. Elle transpire : émotion à fleur de peau, regard effrayé. Elle raconte son quotidien qui a basculé depuis un mois. Les répliques à répétition, «la ruée vers les masques». Son magasin sert d’exutoire. On la presse de questions, dont elle n’a pas les réponses. «Je fais comme tout le monde, résume-t-elle. J’écoute les messages à la télé ou la radio.» Donc : «Protégez au maximum votre peau de l’air» ; «Portez un masque» ; «Protégez vos cheveux» ; «Lavez vos vêtements en rentrant.» Yukiko, 39 ans, parle aussi de ses filles, qu’elle élève seule. «Je suis morte d’inquiétude. Même à l’école, elles doivent rester confinées dans les classes. Interdiction de jouer dans la cour. Que vont-elles devenir ?»

Océan de doutes

La ville de Fukushima se dresse à 58 kilomètres des réacteurs de la centrale de Fukushima Daichi. «L’île du bonheur», en japonais, baigne dans un océan de doutes. Dans la capitale de la province de Fukushima, 290 000 habitants en temps normal – la moitié, grand maximum, ces jours-ci – les niveaux de radioactivité sont plus «significatifs» qu’à Iwaki, par exemple (Libération de mercredi), pourtant plus proche de la centrale. Les vents en ont décidé ainsi. «Rien de létal, rassurez-vous», dit un responsable municipal.

«Officiellement, on est à 2 microsieverts par heure en moyenne», dit Yukiko Eguchi. Plutôt raccord avec nos propres évaluations, rudimentaires (1). «Il faudrait peut-être distribuer des pastilles d’iode, au cas où ça s’aggrave, non ?» s’interroge-t-elle. Pour tenter de s’en convaincre, Yukiko Eguchi convie à venir dîner chez elle. Là, autour de brocolis («ils ont poussé sous serre», précise la cuisinière), deux scientifiques : Yasuhiro Hashimoto, professeur de biochimie de l’université de médecine de Fukushima, et un Américain, Kenneth Nollet, médecin spécialisé dans la transfusion sanguine. Il a bravé les recommandations de son ambassade : sortir d’un périmètre de 80 kilomètres autour de la centrale. Face à ce mot d’ordre, il se dit «objecteur de conscience» et tient un blog à la religiosité étonnante (2). Il écrit notamment : «La nature a le pouvoir de détruire, mais elle manifeste aussi de la création et de la recréation…» Autour d’un saké, les deux hommes entendent relativiser l’impact des radiations. Ils racontent «combien il est alarmant de parler des niveaux, sauf si on précise vraiment ce que cela veut dire, par an». En arrière-plan, la télé locale égrène les doses évaluées dans chaque ville de la province.

«La métaphore du gruyère»

Yasuhiro Hashimoto l’assure : «Pour l’instant, il n’y a que trois personnes sérieusement touchées. Pour le reste, il n’y a pas de risque.» Il marque un temps : «La science, c’est accepter les risques, non ? Vous savez pourquoi le réacteur numéro 2 n’a pas fusionné ? Parce que c’est le hasard. Le shikata ga nai ["c’est ainsi"] Le destin… Vraiment ? «C’est toujours facile après coup de pointer les insuffisances, les responsabilités. Une catastrophe est par nature imprévisible», répond le Japonais. Mais les alertes de spécialistes, de sismologues, il y a dix ans, sur l’insuffisance des digues, sur la vétusté des réacteurs de Daichi, sur la passivité de l’opérateur ? rétorque-t-on. «C’est la métaphore du gruyère suisse, coupe l’Américain. Si vous alignez les morceaux, difficile d

via www.liberation.fr

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