François Pinault, épieu dans le flanc de la culture – Page 1 | Mediapart

À la Biennale de Venise, en 2011, dans le pavillon allemand, le visiteur était accueilli par des nymphettes provocatrices, qui répétaient en boucle : « It's so contemporary, so contemporary ! » Sous couvert d'ironie critique, c'était là un clin d'œil aux initiés, confortés dans leur précieux entre-soi : être moqués, n'est-ce pas recevoir la confirmation que nous en sommes ?… Aujourd'hui, un documentaire gonflé, qui vaut le détour, obéit à la démarche inverse : prendre à rebrousse-plume tous les faisans obsédés par la modernité. La Ruée vers l'art ose mettre en scène deux enquêtrices d'âge mûr, Danièle Granet et Catherine Lamour, qui payent de leur personne pour nous introduire chez une palanquée de zozos surfriqués ne jurant que par l'apparence, la frime, la performance. Pas question de s'en laisser compter. Au diable le « so contemporary », voici le tiroir-caisse, véritable pousse-au-jouir de ce milieu d'imposteurs parant leur vénalité des couleurs de l'esthétisme !

La charge déplaît aux critiques d'art, associés aux miettes du festin. Ils prennent, en un phénomène d'aliénation classique, la défense des maîtres au nom de la dignité de tout serviteur se haussant du col. Ce petit monde, touché au cœur (donc au portefeuille), tente de faire contre mauvaise fortune fine bouche : le film de Marianne Lamour, dans les milieux autorisés, est jugé caricatural, populiste, exagéré donc insignifiant, excessivement injuste. Et l'amour de l'art, dans tout ça ? Trêve de balivernes ou de diversion. Revenons à la seule libido qui compte : « Si ce n'est pas inabordable, les gens ne sont pas intéressés », admet devant la caméra le marchand-collectionneur David Nahmad, l'un des rares nababs à se laisser approcher.

Interdit de poser une question à Larry Gagosian – quinze galeries sur la planète, 1 milliard de chiffre d'affaires : « Ne me touche pas ! » grogne-t-il à l'adresse de la journaliste qui a le toupet de l'approcher. Inimaginable de tirer plus de trois mots de la bouche d'un François Pinault, véritable dogue de Venise. Omerta clanique d'un écosystème qui hait la transparence et où « le délit d'initiés n'est pas condamné, tout au contraire », souligne le commentaire du film, qui rappelle ainsi la différence essentielle d'avec la ruée vers l'or : « Les chercheurs d'art fabriquent eux-mêmes les filons qu'ils vont exploiter. »

En un Occident qui devient « la périphérie de l'axe Shanghai-Dubaï », chaque potentat se cherche une « rampe de lancement » aux allures d'écrin. À Londres, Charles Saatchi possède comme personne l'art de dénicher des lieux magiques, où la pègre emperlousée viendra blanchir ce qu'elle ne confie pas aux fonds spéculatifs (hedge funds pour les franglaisants).

À Paris, en cet automne 2013, comme pour illustrer le documentaire de Marianne Lamour, François Pinault a jeté son dévolu sur la Conciergerie. Il fait ainsi la nique à tous les autres négociants au même moment cantonnés, tels de simples marchands des quatre saisons, dans les espaces dévolus au Grand Palais à la Fiac, qui célèbre cette année sa 40e édition.

L'histoire est on ne peut plus symptomatique. Jean-Jacques Aillagon, ancien ministre de la culture, représentant personnel des intérêts de François Pinault au sein des plus hautes instances de la République française, a proposé à Philippe Belaval, président du Centre des monuments nationaux (CMN), un marché clés en main : installer

via www.mediapart.fr

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