À une audience francophone, le titre du livre de Anat Admati et Martin Hellwig, The Bankers New Clothes, évoquera inévitablement Les habits neufs du président Mao où Simon Leys mettait à nu, dés 1971, la violence délirante du régime du Grand Timonier, quand les bobos germanopratins de Tel Quel se faisaient promener, tous frais payés, dans les images d’Épinal de la propagande chinoise. La dictature des banquiers n’a pas directement à son actif les dizaines de millions de morts du totalitarisme maoïste, mais six années de crise financière, économique et sociale apportent une démonstration suffisamment convaincante de sa nocivité.
Le parallèle ne s’arrête pas là. De même que Mao repose toujours dans son mausolée, sur le lieu de ses crimes, la haute banque est sortie de la crise historique qu’elle a provoquée couverte d’une impunité presque complète. Que dans le meilleur des cas, elle achète, aux États-Unis, avec l’argent des actionnaires et des contribuables, en payant des amendes astronomiques. En Europe, elle n’a même pas ce désagrément. Et comme tout système totalitaire, la dictature bancaire s’appuie sur un impressionnant appareil de propagande, tout en faisant de l’opacité un principe cardinal de son fonctionnement. Démolir cette propagande, dissiper ce brouillard obscurantiste, c’est l’objectif que se sont assignés Admati et Hellwig, elle professeur de finance à Stanford, lui directeur de l’Institut Max Planck à Bonn.
Il s’agit donc d’écarter, pièce par pièce, ces « habits neufs » d’un empereur qui, comme dans le conte d’Andersen, se promène nu à travers les rues jusqu’à ce qu’une voix enfantine proclame une vérité que les courtisans serviles comme le bon peuple soumis refusaient de reconnaître. Le travail est avant tout didactique, les auteurs ayant divisé l’ouvrage entre une démonstration aussi épurée que possible, appuyée sur des exemples concrets et un considérable appareil de notes (un bon tiers de la pagination) faisant office d’offre de preuves.
Le cœur de la démonstration est assez simple. Dans son essence, le métier de banquier consiste à collecter des ressources à court terme (les dépôts, mais aussi de la dette) pour les « transformer » en emplois à plus long terme, par exemple des crédits immobiliers. Cet exercice implique un risque bien connu, celui de « transformation », si la banque se trouve confrontée subitement à des demandes de retraits immédiats sur les dépôts qui excèdent sa capacité à réaliser les actifs (crédits) équivalents. Le banquier fait payer ce risque à l’emprunteur (et bien sûr celui de ne pas être remboursé) à travers l’écart entre ce qu’il verse au déposant (parfois rien du tout) et ce qu’il facture à l’emprunteur (souvent beaucoup trop). Et pour se prémunir contre le risque de liquidité, il conserve en fonds propres (le capital de la banque) une proportion raisonnable de ses engagements (vis-à-vis de ses créanciers à court terme).
Ce que démontrent très bien Admati et Hellwig, c’est que l’évolution presque séculaire de l’industrie bancaire, avec la complicité active des politiques et des régulateurs, a consisté à réduire, jusqu’à des niveaux voisins de zéro, le pourcentage de capital que les banques devaient conserver par rapport à leurs engagements. De quelque 30% au début du XXe siècle, il était tombé à 2 % dans certaines grandes banques internationales avant que le problème ne soit bien tardivement (et pour de mauvaises raisons) reconnu par le fameux Comité de Bâle dans les années 80. La justification de cette tendance, un des plus funestes de ces «nouveaux habits» revêtus par les banquiers
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