Achille Mbembe : « Il n’y a pas de monde sans circulation libre des hommes »  – Page 1 | Mediapart

Achille Mbembe, d’origine camerounaise, vit entre l’Afrique du Sud, où il enseigne l’histoire et la science politique à l’Université du Witwatersrand de Johannesburg, et les États-Unis, puisqu’il est également professeur à Duke University. Il fait aussi quelques escales régulières à Paris, cette fois-ci à l’occasion de l’ouvrage qu’il vient de publier aux éditions La Découverte, Critique de la raison nègre.

Pour lui, la figure historique du Nègre est une clé de compréhension de la marchandisation des hommes à l’âge des politiques néolibérales et sécuritaires, parce que « le Nègre est (…) le seul de tous les humains dont la chair fut faite chose et l’esprit marchandise ». Mais c’est une figure duale qui devint aussi « le symbole d’un désir conscient de vie, une force jaillissante, flottante et plastique, pleinement engagée dans l’acte de création » et qui fournit, par là, le complément nécessaire d’une critique marxiste de l’exploitation, trop longtemps aveugle à la dimension raciale des classes sociales.

Achille Mbembe examine donc les conditions, ambitieuses, de possibilité d’un monde commun et partagé. Pour lequel, il faudra d’abord « restituer à ceux et celles qui ont subi un processus d’abstraction et de chosification dans l’histoire la part d’humanité qui leur a été volée ». Mais aussi admettre que la « proclamation de la différence n’est qu’un moment d’un projet plus large », alors que « pour ceux qui ont subi la domination coloniale ou pour ceux dont la part d’humanité a été volée à un moment donné de l’histoire, le recouvrement de cette part d’humanité passe souvent par la proclamation de la différence ».

Dans le livre que vous venez de publier, vous écrivez que « la transformation de l’Europe en “forteresse” et les législations anti-étrangers dont s’est doté le Vieux Continent en ce début de siècle plongent leurs racines dans une idéologie de la sélection entre différentes espèces humaines que l’on s’efforce tant bien que mal de masquer ». Ce qui s’est passé au large de Lampedusa et de Malte la semaine dernière est-il voué à se répéter à l’infini ?

Achille MbembeAchille Mbembe

Il est nécessaire de rappeler que l’Europe n’est pas la destination privilégiée des migrants africains. Depuis quinze ou vingt ans, les destinations de ces migrants se sont énormément diversifiées. Ils vont en Chine, aux États-Unis, vers d’autres parties du monde… Ce qui me pose question, c’est le fait qu’autant de gens ne veulent pas vivre en Afrique. L’Afrique doit créer les conditions pour que ces gens puissent vivre normalement chez eux.

Cela passe par l’ouverture des frontières à l’intérieur du continent lui-même, afin qu’il devienne un vaste espace de circulation régionale. Au cours des quinze dernières années, l’Afrique est devenue la destination d’une nouvelle vague d’immigrants venant de Chine, du Portugal ou d’ailleurs. Pendant que l’Europe ferme ses portes, il faut donc que l’Afrique ouvre les siennes, et en priorité à ses fils et à ses filles. Il est quand même étonnant qu’on n’ait entendu quasiment aucune voix de dirigeants africains à l’occasion de ces drames.

Percevez-vous une évolution dans les relations entre l’Europe et l’Afrique, notamment avec les régimes de « satrapes » dont vous aviez fait la critique dans votre précédent ouvrage, Sortir de

via www.mediapart.fr

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