Bienvenue au pays des abattoirs géants, de la viande pas chère et des salaires de misères. Nous sommes au cœur du premier Land agricole d’Allemagne, la Basse-Saxe, près de la petite ville de Nienburg. C’est ici que Walter (voir notre boîte noire) a installé son élevage de porcs. Il possède 200 truies reproductrices et engraisse 1 500 cochons dans un immense hangar entièrement informatisé et couvert de panneaux solaires. Membre du parti conservateur, Walter est aussi responsable local du syndicat paysan. Il connaît donc parfaitement les ressorts de la « mafia de la viande ».
Mais il n’est pas là pour changer le système : « Je n’ai pas besoin de lire les histoires sur les conditions de travail dans les abattoirs. Je sais bien que ce sont essentiellement des travailleurs de l’est mal payés qui abattent les 200 cochons que je livre tous les 15 jours. Je n’approuve pas, mais dans l’ensemble, tout est légal. Et moi, mon unique client c’est l’abattoir. Je le livre selon la demande. C’est lui qui définit le niveau de qualité et qui vend la viande dans le monde entier », explique-t-il froidement. Pour se maintenir, Walter va devoir agrandir son exploitation : « Mon seul problème est de savoir si je peux fournir le produit demandé en quantité suffisante. L’idéal serait de pouvoir fournir au moins 300 bêtes par quinzaine. Les abattoirs ne sont pas intéressés par les petits producteurs. Ce sont les lois de la production et de la concurrence. Je n’y vois pas d’inconvénient », ajoute-t-il.
En représentant décomplexé de l’agriculture de masse, il précise sa vision de la situation actuelle : « Notre société veut manger de la viande en quantité et pour pas cher. Alors nous lui livrons ce qu’elle veut en fonction d’impératifs de production et de règles données. Si les gens décident que ce n’est pas bien, que la viande n’est pas bonne ou que l’on exploite les salariés, alors ils n’ont qu’à changer les règles et leurs comportements. Evidemment, il y a toujours des gens qui abusent. C’est pour cela qu’il faudrait renforcer les contrôles. Or, même si les politiques se plaignent bruyamment des scandales à la viande avariée ou des conditions inhumaines de travail, ils ne font rien pour améliorer les contrôles. Il est de notoriété publique qu’il manque des milliers de contrôleurs, tant dans les administrations sanitaires qu’à l’inspection du travail », conclut-il.
Walter livre sa production à une centaine de kilomètres de là, dans l’un des abattoirs les plus modernes d’Europe, celui de la société Tönnies à Rheda-Wiedenbrück, n° 1 allemand de la production de viande avec 27,6 % de parts de marché (58 millions de porcs ont été abattus en Allemagne en 2012, dont 8 % venant de l’étranger). C’est précisément ce genre d’abattoirs qui, avec ses coûts de personnels dérisoires et ses prix cassés, déstabilise le marché européen : « Depuis une quinzaine d’années, Tönnies et ses concurrents ont commencé à remplacer systématiquement leurs employés maisons, des Allemands, par de la main d’œuvre venue des pays de l’est qui travaille, quand tout va bien, pour des salaires de 3 à 5 euros par heure. Aujourd’hui, certains abattoirs n’ont plus que 10 % de personnel local », précise Matthias Brümmer, patron de la fédération d’Oldenburg du syndicat de l’agroalimentaire (NGG) et spécialiste reconnu des problèmes de la filière viande.
Cette évolution dramatique est le résultat conjoint de la directive de 1996 sur les travailleurs détachés en Europe, de l’ouverture progressive des marchés du travail d’Europe de l’ouest aux travailleurs des nouveaux pays membres de l’est et du désintérêt des politiques. « Le schéma est désormais bien connu. Des sociétés de placement étrangères proposent les services de travailleurs bulgares, roumains ou lettons. Selon la directive européenne, ceux-ci ont le droi
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