Libre Ecran, des citoyens se mobilisent pour ne pas laisser la télévision aux mains des professionnels de la profession et des Sarkosystes – un entretien

AL : Bonjour, Le Collectif Libre Ecran est un collectif de citoyens qui, dans sa présentation, déclarent "Nous ne sommes ni journalistes, ni acteurs des médias. Nous sommes des citoyens engagés ou non, et nous nous sentons plus que jamais concernés par la nécessité de préserver un service public de l’information, de qualité et indépendant du pouvoir politique. Le climat exécrable qui règne depuis plusieurs mois autour de la question de la liberté des médias nous laisse craindre une sérieuse remise en cause du droit à l’accès à l’information que nous considérons comme être un principe démocratique fondamental." Et vous poursuivez en ajoutant "La liberté d'expression est en danger". Les écrans ne sont pas libres ? La liberté d'expression n'est-elle pas déjà réduite ? et donc déjà plus qu'en danger ?


LE: Bonjour Jean-Christophe Grellety, je vous remercie tout d'abord au nom du collectif libre-écran de l’intérêt que vous portez à notre engagement. Dans cette période néfaste pour la démocratie, tous les soutiens sont les bienvenus. J’ai eu l’occasion de suivre vos travaux nombreux et notables. La création des cafés-philo bien sûr, mais ce que je retiens surtout c’est votre engagement en faveur de la liberté d’expression, notamment sur la toile. Un engagement actif et enraciné dans le temps. Mais avant de commencer, j’aimerais revenir sur la naissance de notre collectif. Effectivement, comme vous l’avez mentionné, nous nous battons pour « préserver un service public de l’information, de qualité et indépendant du pouvoir politique ». C’est pour cette raison que le texte de loi présenté par la ministre de la Culture, Christine Albanel, nous indigne. Sous prétexte de vouloir « libérer » France Télévisions de la « dictature de l’audimat » – termes employés par le chef de l’Etat -, ce projet de loi instaure dans les faits une réelle reprise en main de l’Etat sur la télé publique, avec notamment le droit de nomination et de révocation direct du président de France Télévisions et de Radio France par le président de la République. Est-ce que la liberté d'expression n'est pas déjà réduite, voire en danger ? Bien sûr, en tant que militant politique actif, mais surtout en tant que citoyen, je vois derrière la politique de Nicolas Sarkozy un retour de l’autoritarisme, avec un président de la République qui parle à la place de son gouvernement – Christine Albanel n’ayant pas été concertée pour la réforme de l’audiovisuel –, qui applique une politique axée sur la répression et la peur – un vieux réflexe autoritaire –, et qui aujourd’hui souhaite reprendre en main le contrôle des média. Nous ne croyons plus au hasard lorsque l’on voit que Vittorio de Filippis a été violemment interpelé pour un simple soupçon de diffamation ou encore que certains journalistes à Lyon n’ont pas pu faire leur travail pendant les manifestations étudiantes à cause des forces de « l’ordre ». A travers notre mouvement de défense de la liberté d’expression, c’est la défense de toutes les libertés qui est en jeu. Pour en revenir au projet de loi sur la réforme de l’audiovisuel, nous constatons une réelle cohérence des choix gouvernementaux. D’un côté, la restriction de budget de France Télévisions avec un manque à gagner annuel de 500 millions d’euros, somme qu’il faudra chaque année négocier auprès du gouvernement. Autrement dit, est créée une dépendance financière de France Télévisions auprès de l’Etat. De l’autre côté, TF1 et M6 récoltent une seconde coupure publicitaire, une augmentation du volume horaire de la publicité et une ouverture des œuvres de fiction aux publicités de marque. Certains députés sont mêmes allés plus loin en proposant de supprimer le journal national de France 3 qui ferait « doublon » avec celui de France 2. Et pourquoi pas supprimer le journal de France 2 qui fait doublon avec celui de TF1 ? Nous condamnons un texte de loi qui encourage, à terme, une "star-académisation" des chaines et stations publiques. Une forme d’abêtissement des masses en proposant notamment de remplacer les spots de publicité vacants par des spots « éducatifs ». Des idées pré-formatées pour au final empêcher les français de réfléchir. Une sorte de « travailler plus pour gagner plus » et surtout « pour penser moins ».


AL : Les modifications qui concernent les statuts, la direction et les moyens de France Télévision vont rentrer en vigueur en janvier 2009. Vous avez réalisé une manifestation sur la place publique pour "fêter le retour de l'ORTF", et Nicolas à toutes les sauces. Mais n'est-ce pas une illusion ? N'est-ce pas déjà la réalité ? Depuis son élection, les médias, télévisuels et radiophoniques, lui consacrent quotidiennement un temps considérable. Si nous regardons l'Histoire des chaînes françaises et "de la télévision", on s'aperçoit que la démultiplication des chaînes a été pour l'essentiel une œuvre chiraquienne et qu'elle n'a jamais eu pour objet de permettre la liberté d'expression, et donc il serait légitime de penser que nous vivons dans une ORTF déguisée depuis le début des années 70.

LE : J'aimerais considérer deux choses pour vous répondre : d'abord, l'histoire de la télévision française depuis l'ORTF ; ensuite, la situation présente. Dans un premier temps, il faut avoir en tête ceci que la radio française a d'abord été gaulliste, elle est née avec la RDF (Radiodiffusion française). De 1964 à 1974, l'ORTF instaure une télévision d'Etat. La réforme de l'audiovisuel menée par Jacques Chirac a permis l'éclatement de l'Office gaullien sans pour autant défaire la télé de la tutelle de l'Etat, le premier ministre maintenant sous son contrôle les sept sociétés indépendantes qui ont vu le jour. La véritable séparation de la télévision, de la radio et du pouvoir politique intervient sous la présidence de François Mitterrand, chose qu'on rappelle peu. La fin du monopole d'Etat sur les ondes dans les années 1980 répond à une évidence : la "guerre des ondes" est terminée, et depuis bien longtemps. Par ailleurs, la création de la Haute autorité de la communication audiovisuelle constitue une révolution puisqu'elle sépare la sphère du pouvoir et celle des média. François Mitterrand est donc celui qui a donné naissance à la télévision à laquelle nous tenons et qui est menacée par le gouvernement de François Fillon aujourd'hui, sous la présidence d'un homme, Nicolas Sarkozy, qui a fait du culte de soi le cœur de son projet politique. Il n'est donc pas honnête à mon sens de parler d'ORTF déguisée quand on sait ce qui a été fait par Mitterrand. Dans un second temps, je ne crois pas qu'on puisse dire que la télévision et la radio sont déjà inconsistantes ni totalement sans intérêt. Il y a France culture, France Inter, Arte, des émissions comme Mots croisés, Ripostes… Toute la sphère médiatique n'est pas pourrie, et heureusement ! Non seulement il faut sauver ce qui est à sauver mais il est indispensable de lutter pour qu'à l'avenir le financement et l'organisation de programmes de qualité soient toujours possibles. Parce que comprenez bien que si on dit que l'ORTF existe encore aujourd'hui de façon "déguisée", cela est un argument de plus pour le gouvernement qui n'aura qu'à dire : "mettons fin à l'hypocrisie et faisons en sorte que la loi sur l'audiovisuel public s'aligne sur la réalité de ce que sont la télé et la radio de nos jours". Si le président de la République peut à nouveau désigner à sa convenance le président de France télévisions, alors en ce cas nous revenons bien à la situation qui avait cours sous de Gaulle, on fait un bon trente ans en arrière !



AL : Vous évoquez les JT particulièrement, mais il me semble que c'est l'ensemble des programmes qui sont affligeants, mélange d'abêtissement, de propagande, de programmes creux. Quand on vit comme moi "en province", on peut aussi être stupéfait de la quasi-nullité des journaux d'information et des programmes des régionales de France 3. Là, la liberté d'expression est quasi nulle depuis des années, sans que personne n'y trouve à redire. Est-ce que le Collectif Libre Ecran a des objectifs multiples et globaux ?

 

LE : Ne vous y trompez pas, si nous évoquons prioritairement les JT, c'est que la propagande se fait principalement par les voies de l'information. Mais notre position n'est pas caricaturale et nous savons évidemment que sous nos plaintes, nos révoltes, nous devons porter, avec d'autres, des réflexions profondes sur l'ensemble de la programmation télévisée. Je reviens à Karl Popper. Celui-ci a nourri, d'une part, des doutes sur les capacités réelles de la télévision à produire des émissions de valeur, des programmes intellectuellement soutenus car cela demande un nombre d'heures de travail assommant, ce qui suppose une volonté forte d'orienter  le service public vers les chemins de l'épanouissement culturel. Le nombre toujours croissant des chaînes provoque, d'autre part, la nécessité de trouver des professionnels qualifiés, et ils ne courent pas les rues. D'où, effectivement, le fait que la multiplication des canaux tend à réduire la portée culturelle de la télévision, celle-ci s'alignant finalement le plus souvent sur les goûts de l'époque plutôt que de les mettre en question. Évidemment, la télévision ne remplit pas les objectifs qui devraient être les siens sur le plan régional. Nous sommes toujours sous le coup de la phrase de ce géographe : "Paris, et le désert français". Le Collectif libre-écran n'a pourtant pas les moyens des députés (nous sommes des citoyens !) ni ceux des "décideurs" de programmes. Nous ne sommes que des relayeurs de revendications et nous imposons un débat nécessaire. Notre objectif principal a toujours été le retrait de la loi sur l'audiovisuel public et il ne changera pas, d'autant que le Sénat ne s'est pas encore prononcé. Par ailleurs, nous sommes prêts à travailler avec syndicats, directions, gouvernement, sur un autre service public audiovisuel, de qualité et indépendant.

 

AL : Comment les citoyens qui vous approuvent peuvent faire pour et avec vous ? Devenir membres du collectif ? Quels sont vos projets, si vous voulez en parler ? Est-ce que votre site Internet peut et va devenir un espace critique contre la télévision Sarkozy et d'offres de programmes nouveaux ou… ?

 

LE : Notre collectif citoyen a vocation à défendre une certaine idée du service public. Comment nous aider ? En y adhérant et en passant du temps comme les nombreux bénévoles de notre mouvement. Vous pouvez également apporter votre soutien, mais pour nous ce qui compte ce n’est pas le nombre de signatures mais bien la défense de la liberté d’expression. Vous pouvez également rejoindre notre groupe sur Facebook (libre écran) où nous informons régulièrement les membres de nos différentes actions. Enfin bien sûr, notre site est ouvert et se présente déjà comme un site de résistance face à la télé sarkozyenne. Pour la suite, nous devons effectivement réfléchir à la nouvelle forme que prendra notre collectif. Dans l’immédiat, nous serons présents aux côtés du journal Marianne qui appelle tous les syndicats à manifester le 29 janvier.

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