Contre la violence au Honduras, la guerre sans armes d’une femme meurtrie – Page 1 | Mediapart

La nuit avant la mort, avant de s'endormir, Julieta Castellanos et son fils Alejandro ont passé un long moment sur un lit à se faire des confidences et des câlins. Seule la douce lumière des lampadaires de la rue dessinait les corps qui se disaient au revoir sans le savoir.

Julieta Castellanos, dans son bureau de l'Université autonome de Tegucigalpa.Julieta Castellanos, dans son bureau de l'Université autonome de Tegucigalpa. © Andros Lozano

Le bureau de la rectrice de l'Université autonome de Tegucigalpa est vaste et bien éclairé par de grandes fenêtres. Sur son bureau, couvert de dossiers et d'un drapeau du Honduras, Julieta n'a aucune photo de son fils. Cette femme aux cheveux cendrés et au regard doux préfère éviter d'être distraite quand elle travaille, toujours à un rythme vertigineux.

À la maison, c'est différent. Dans une tentative d'étreinte avec le passé, la mère a gardé intacte la chambre d'Alejandro. Ses vêtements sont dans l'armoire, ses disques et ses livres traînent sur les étagères. Entre autres une biographie de Che Guevara, que le garçon avait l'habitude de lire couché sur l'oreiller.

Garder cet espace suspendu dans le temps apaise la douleur de Julieta, qui ne l'a pas quittée depuis la nuit où quatre policiers infâmes lui ont enlevé pour toujours le cadet de ses trois enfants en appuyant simplement sur la gâchette. Elle explique que c'est ce qui l'aide à ne pas flancher dans la guerre sans armes qu'elle a lancée contre l'impunité dont jouissent les assassins de son pays et qui fait tant de mal à son peuple. Au Honduras, l'État le plus violent du monde selon les Nations unies – 82,2 morts violentes pour 100 000 habitants en 2012 –, une enquête est menée dans seulement 20 % des cas d'homicides.

Le vendredi 21 octobre 2011, Alejandro, jeune homme studieux de 22 ans, se lève auprès de sa mère. Depuis la mort de son père, victime d'un cancer trois ans auparavant, ils dorment parfois ensemble. Ce matin-là, il n'a pas cours à la faculté de sociologie, où il passera ses examens pour obtenir la licence quelques mois plus tard. Sur l'agenda de sa mère, personnalité la plus prestigieuse et la plus aimée de son pays depuis qu'elle a créé en 2006 l'Observatoire de la violence au Honduras, toute une liste de rendez-vous qu'elle doit honorer. Depuis qu'elle est devenue rectrice en 2009, le travail lui laisse très peu de temps libre.

Ce matin-là, Julieta, également sociologue, est partie tôt. Elle a dit au revoir à son fils comme d'habitude, d'un baiser sur la joue. « Au revoir mon chéri. » C'est la dernière fois qu'elle l'a vu. Leurs regards ne se sont plus jamais croisés parce que, quand elle est rentrée du travail, presque à la nuit tombée, il était déjà chez Laura, une amie qui fêtait son anniversaire.

Il y a certes eu un dernier appel d'Alejandro. Il l'a prévenue qu'il ne rentrerait pas dormir à la maison, qu'après la fête il irait chez son meilleur ami, Carlos David, étudiant en droit, qui était aussi invité.

Les jeunes pensaient continuer à travailler dans la nuit sur la bande dessinée qu'ils écrivaient depuis des mois. Alejandro faisait le scénario et Carlos David les dessins de Ungiven, l'histoire du superhéros Volthron, qui lutte contre les injustices d'un monde irréel. Mais ils n'ont plus jamais esquissé de vignettes.

À 19 h 30, la nuit

via www.mediapart.fr

0 0 votes
Évaluation de l'article
S’abonner
Notification pour
guest
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Translate »
0
Nous aimerions avoir votre avis, veuillez laisser un commentaire.x