«C’est une histoire folle, l’acmé de la cruauté», à propos de « Le Dernier des Injustes », Ecihmann, etc | Next

’est un film. Un grand film de Claude Lanzmann. Et, en ce sens, il a sa place dans l’agitation cannoise. Avec son indispensable durée (3 h 38, seulement…), le Dernier des Injustes va rompre avec l’éphémère du Festival et plonger dans l’histoire à travers deux personnages shakespeariens : le héros, ou antihéros, Benjamin Murmelstein, qui s’est surnommé lui-même «le dernier des injustes» en référence au chef-d’œuvre d’André Schwarz-Bart, le Dernier des Justes. Nommé par les nazis à la tête du conseil juif  du camp de Theresienstadt pour exécuter leurs plans meurtriers, «collabo» malgré lui. Claude Lanzmann l’avait longuement interviewé à Rome, en 1975, au début du tournage de Shoah. Mais n’avait pas utilisé les rushes, qui avaient été confiés aux archives du Musée de l’Holocauste, à Washington. Après avoir fait Shoah, les neuf heures sur la destruction des Juifs d’Europe, après avoir montré la révolte et leur héroïsme dans Sobibor, 14 octobre 1943, 16 heures, après être revenu sur l’indifférence des Alliés, et en particulier de Roosevelt, dans le Rapport Karski, Lanzmann affronte, dans le Dernier des Injustes, la question de la collaboration. Et, à 87 ans, boucle l’histoire avec cette question. Et sa réponse.

Pourquoi avoir fait ce film, aujourd’hui, avec pour personnage principal Benjamin Murmelstein, un ancien dirigeant de ces conseils juifs accusés d’avoir collaboré avec les nazis ?

En fait, Murmelstein a été le premier protagoniste de tous ces films que j’ai tournés, je l’ai interviewé à Rome, en 1975. J’étais fasciné dès le début par les conseils juifs, j’en ai fait un tournage à part, avant Shoah. Je suis d’abord allé à Jérusalem quand j’ai appris qu’un type qui s’appelait Lev Garfunkel, numéro 2 du conseil de Kovno, en Lituanie, était mourant. J’ai alors constitué une équipe à toute vitesse et j’ai pu l’interviewer : je lui demande comment ça s’est passé, ce que les Juifs emmenaient avec eux, et j’entends une petite voix mourante qui vient du fond du corps : «Des livres ! Des livres !»

Le lendemain, je suis parti voir Murmelstein à Rome. J’avais lu beaucoup de choses sur ces conseils. Aux Etats-Unis, un énorme livre paru en 1977, Judenrat, d’Isaiah Trunk, étudiait les conseils dans de nombreux ghettos de Pologne et montrait comment chacun s’était débrouillé avec les ordres allemands. Il est arrivé que le conseil tout entier se suicide, la même nuit, parce qu’ils savaient que les gens allaient partir le lendemain pour les camps de la mort. Comme Adam Czerniakow, le président de celui du ghetto de Varsovie, qui s’est suicidé quand les déportations ont commencé. Mais lui était seul.

Vous avez montré Sobibor dans votre précédent film, la révolte…

A Varsovie, Sobibor, Treblinka, oui, il y a eu des révoltes, mais ils finissaient par mourir. Ils étaient conscients, ils avaient perdu espoir, ils savaient qu’ils étaient condamnés, mais ils allaient mourir en en tuant d’autres. Le suicide était l’ultime résistance de gens totalement coincés, à bout de souffle, sans aucun pouvoir.

Les nazis étaient des pervers fantastiques. Ils donnaient des ordres dont ils savaient qu’ils ne pouvaient pas être exécutés, et ils les rendaient encore plus inexécutables en les multipliant. D’ailleurs, Murmelstein dit à un moment dans le film : «On n’avait pas le temps de penser.» Tout le temps sous pression.

J’étais très conscient des contradictions sauvages dans lesquelles se trouvaient ces personnes qui n’étaient pas volontaires pour ce travail, qui avaient été choisies par les Allemands qui, quand ils ne trouvaient pas assez de gens, les prenaient dans la rue. J’ai voulu montrer que ces soi-disant collabos juifs n’étaient pas des collabos. Ils n’avaient jamais voulu tuer des Juifs, ils ne partageaient pas l’idéologie des nazis, c’était des malh

via next.liberation.fr

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