Pour en savoir plus, nous avons interrogé Pablo Stefanoni, journaliste et chercheur indépendant ayant travaillé plusieurs années à La Paz. Ex-directeur de la version bolivienne du Monde diplomatique et aujourd'hui rédacteur en chef de la revue continentale Nueva Sociedad, Stefanoni est également l'auteur (avec Hervé Do Alto) de Nous serons des millions. Evo Morales et la gauche au pouvoir en Bolivie (Raisons d'agir, 2008) et de « Qué hacer con los indios », y otros traumas irresueltos de la colonialidad («"Que faire des indiens'', et autres traumatismes irrésolus de la colonialité», Plural, La Paz, 2010).
Mediapart – Que s'est-il passé au juste à Yucumo ?
Pablo Stefanoni – La police est intervenue de façon inattendue et brutale contre un campement d'indigènes qui marchent depuis le 15 août sur La Paz pour s'opposer à la construction d'une route traversant leurs territoires. Théoriquement, les policiers étaient censés empêcher un affrontement entre les indigènes amazoniens et des paysans aymaras et quechuas partisans du projet de route qui bloquaient Yucumo. Mais l'intervention a dégénéré, les policiers ont matraqué et menotté les protestataires amazoniens, y compris des femmes portant leurs nourrissons, et les ont bâillonnés avec du ruban adhésif.
Ces actions ont engendré une vague massive d'indignation et de manifestations dans les villes du pays et un appel à la grève de la COB, la centrale ouvrière bolivienne. La ministre de la Défense, Cecilia Chacón, a démissionné en signe de désaccord avec la répression. Au bout de 24 heures, Evo Morales a déclaré qu'il n'était pas responsable de cette répression, que l'action des policiers était « impardonnable » et qu'il suspendait le projet de route et le soumettrait à référendum dans les deux départements concernés, Cochabamba et Beni. Le ministre de l'intérieur, Sacha Llorenti – qui nie lui aussi toute responsabilité directe –, s'est vu forcé de démissionner.
via www.mediapart.fr