Le 36 822e et dernier expulsé de France en 2012 est accroupi, seul sous un arbre, à la recherche d’un peu d’ombre. La fureur sonore qui jaillit de cette autoroute poussiéreuse, à la sortie de Rawalpindi, gigantesque cité des faubourgs d’Islamabad, semble l’isoler encore plus. Ahmed Sohail vit son premier printemps sur sa terre natale depuis neuf ans, et redoute déjà les 40 ou 50 degrés promis par l’été.
Parmi les grappes de voyageurs qui s’agitent autour du minibus blanc surchargé duquel il a péniblement extrait son 1,85 mètre, Ahmed est le seul à l’écart, ses longs doigts crispés sur un sachet rose qui abrite un classeur vert rempli de sa vie administrative. Depuis le 1er janvier 2013 et son arrivée à Karachi, Ahmed est cloîtré dans la solitude. Dans son pays qu’il ne connaît plus. Depuis 2004, il avait bâti sa vie en France, jusqu’à son arrestation, le 21 novembre dernier, à 17 heures, gare de Lyon. Sans papiers depuis quelques mois, il avait rendez-vous une semaine plus tard à la Cimade, une association de solidarité avec les migrants, les réfugiés et les demandeurs d’asile.
«Je n’avais qu’à obéir»
Ce samedi 30 mars c’est la deuxième fois seulement qu’Ahmed vient à Islamabad. Il semble intimidé. Il fixe le ruban de bitume devant le minuscule taxi jaune dans lequel il a replié ses longues jambes. Mais sa première question, la seule qui vaille pour lui, ne tarde pas :«Vous croyez que je vais pouvoir revenir en France ?» Il a 24 ans et a vécu jusqu’à l’âge de 15 ans à deux heures de route au sud de la capitale politique du Pakistan, en direction de Lahore, le cœur culturel du pays. Mais lors de son enfance à Dher, petit village du Penjab, sa famille n’avait aucune raison de venir jusqu’à cette grande ville qui n’était qu’un nom pour les paysans.
De son premier séjour à Islamabad, Ahmed ne garde que le souvenir d’une nuit de peur et de frénésie chez Shaid Sanyara, le passeur qui l’a acheminé vers Paris. Sanyara a été condamné ensuite à dix ans de prison en France mais son fils a repris le trafic, croit savoir Ahmed. Qui n’a jamais oublié la date de son passage vers l’Europe : «Le 9 janvier 2004. C’était très excitant, même si j’étais petit et que je ne me rendais pas bien compte où j’allais. Et, puisque mon père avait décidé, je n’avais plus qu’à obéir.» A 14 ans c’est difficile de s’opposer à son père. Au Pakistan c’est impossible, et cela dure toute la vie.
En cet hiver 2004, ils sont trois Pakistanais à effectuer le vol direct Islamabad-Paris avec la PIA, la compagnie nationale. Dans leurs poches, un vrai passeport orné de leur photo. Tout simplement. Akram Sohail, le père d’Ahmed, a vendu un bout de ses terres de Dher pour payer l’équivalent des 7 000 euros – une fortune dans un pays où le salaire mensuel moyen navigue autour de 100 euros (12 000 roupies) – exigés par le passeur. Et ça marche : dans un pays déjà obsédé par les flux migratoires et où le ministre de l’Intérieur est alors Nicolas Sarkozy, les trois Pakistanais franchissent comme une fleur les contrôles de l’immigration à l’aéroport Charles-de-Gaulle. Il est 21 heures, il fait froid et une mauvaise surprise cueille Ahmed : le passeur, qui avait promis de rester un peu à Paris, repart sur le champ. Ses deux compagnons migrants s’évaporent. Ahmed se retrouve seul, déjà. Dans ces vies qui ont besoin de miracle, il tombe sur Ismail, un compatriote qui travaille dans l’aéroport. Emu par cet adolescent filiforme qui pleure, Ismail l’héberge deux jours avant de l’emmener dans un foyer de la Croix-Rouge, au Kremlin-Bicêtre (Val-de-Marne). Le 13 février, il y fête ses 15 ans.
Comment Ahmed, le seul garçon de la famille Sohail, donc le seul enfant capable de ramener de l’argent à la maison, s’est-il retrouvé à cet âge sur ce vol Islamabad-Paris ? La région de Gujerat, la première g
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