Plus de trente ans après les faits, et pour la première fois en Europe, de hauts responsables de la dictature d'Augusto Pinochet (1973-1990) vont être jugés. Le procès qui s'ouvre à la cour d'assises de Paris, mercredi 8 décembre, statuera sur le sort de 13 Chiliens et d'un Argentin, en grande majorité des militaires, accusés d'«arrestations et séquestrations accompagnées de tortures et d'actes de barbarie». Cette procédure à forte portée symbolique et pédagogique, enclenchée en 1998, a accumulé les retards et les reports. Cinq des 19 accusés initiaux, dont Augusto Pinochet, sont morts entre-temps.
«C'est quelque chose que l'on attend depuis longtemps», avance Natalia Chanfreau, fille d'Alfonso Chanfreau, un Franco-Chilien «disparu» en 1974. «Même si c'est loin du Chili, on espère que les coupables seront reconnus comme tels.» Natalia Chanfreau est venue de Santiago, avec sa mère, pour participer au procès. Pour Sophie Thonon, l'une des avocates des parties civiles, il s'agira également de faire «le procès post mortem de Pinochet». Le général chilien est décédé en 2006 au Chili, sans avoir été jugé.
Aussi précieux soit-il, ce procès risque de buter, au fil des séances, sur une vraie difficulté: le banc des accusés sera désert. Aucun des prévenus n'assistera aux débats, et tous ont finalement choisi, après quelques hésitations pour certains d'entre eux, de ne pas même se faire représenter par leurs avocats. «Ils ont tout fait pour ne pas légitimer le procès français», explique Me William Bourdon, avocat de familles de disparus. Ce procès, au nom de victimes qui n'ont jamais réapparu, se tiendra donc en l'absence des supposés bourreaux. Ce qui, mécaniquement, en limitera la portée.
Les accusés risquent la peine maximale en droit français – 30 ans de prison. Certains poids lourds du système Pinochet visés dans ce procès, comme Juan Manuel Contreras, le chef de la police secrète, sont déjà détenus, condamnés à plusieurs centaines d'années d'enfermement. D'autres continuent de profiter d'une impunité totale au Chili, et leur probable condamnation à Paris n'y changera rien – ou presque: il leur serait désormais interdit de quitter le Chili, sous peine de se faire arrêter. «Le Chili deviendra leur prison», résume l'avocate Sophie Thonon. Comme l'avoue Natalia Chanfreau, fille d'un disparu, «je connaîtrai toujours cette sensation étrange, liée au fait que je peux tomber, à tout moment, nez à nez avec le bourreau de mon père dans une rue de Santiago». A moins, coup de théâtre, que Santiago consente, après le verdict, à livrer l'un de ses ressortissants à la justice française.
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