La gauche française, confrontée aux guerres du XXe siècle, s’est hélas toujours trompée à l’unisson du pays. Il fallait refuser de partir la fleur au fusil en 1914, il fallait combattre la barbarie nazie lors du second conflit mondial et il fallait, ensuite, récuser le bourbier colonial. Ce n’est pas verser dans l’anachronisme que de l’exprimer nettement, mais contribuer à rappeler au politique et même à l’historien, ainsi que le concède Jean-Noël Jeanneney, « le péril méthodologique d’une excessive rationalisation rétrospective des événements et des comportements ».
Attitude désastreuse durant les événements, gestion calamiteuse de leur suite mémorielle : le 11-Novembre n’a que trop duré, le 8-Mai est passé à la trappe du temps de M. Giscard et la représentation nationale s’avère incapable de s’entendre sur une date à propos des conflits coloniaux qui empoisonnèrent la République.
1914-1918 fut un moment matriciel, monstrueux, mémorable. On peut apprécier les études historiques passionnantes, de Pierre Renouvin à Nicolas Offenstadt, en passant par Marc Ferro, Jean-Jacques Becker (et sa fille Annette), Antoine Prost (magnifique thèse sur les anciens combattants), Stéphane Audoin-Rouzeau et consorts. On peut priser l’approche comparatiste et transnationale de l’Historial de Péronne (de loin supérieur à ce musée de collectionneur compulsif qu’abrite Meaux, inauguré au pas de charge par Nicolas Sarkozy et Jean-François Copé). On peut trouver passionnantes les recherches sur la mémoire et les représentations collectives, l’industrialisation et la mécanisation, ou tout simplement l’argot des tranchées. Mais il faut sortir du mythe patriotique comme de la liturgie nationale.
Pour le cinquantenaire de la boucherie, le général de Gaulle prononça, au palais de l’Élysée, une allocution radio-télédiffusée : « Le 2 août 1914, jour de la mobilisation, le peuple français tout entier se mit debout dans son unité. Cela n’avait jamais eu lieu. Toutes les régions, toutes les localités, toutes les catégories, toutes les familles, toutes les âmes se trouvèrent soudain d’accord. En un instant, s’effacèrent les multiples querelles, politiques, sociales, religieuses, qui tenaient le pays divisé. »
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Est-il concevable qu’un demi siècle plus tard, un président socialiste, de 64 ans plus jeune, débite le même catéchisme ? Certes, François Hollande, dans son propos du 7 novembre (anniversaire de la révolution d'Octobre 1917 !), saupoudra : un doigt d’Europe pour panser le chauvinisme ; une pincée de mutins fusillés pour contrebalancer la gloire des brutes galonnées, le temps d’une allusion. Toutefois, le président de la République française, hanté par la doxa sanguinaire et le sadisme rédempteur de ses prédécesseurs, fut incapable de s’élever jusqu’aux interrogations appropriées : comment le bourrage de crâne put-il à ce point contrecarrer le moindre soulèvement international contre une telle guerre civile européenne absurde ? Pourquoi, avec une fermeté carnassière qui relève à la fois de l'anthropologie et de la psychana
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