C’est son banquier qui lui a donné le numéro de l'usurier. Après avoir refusé de lui accorder un prêt, faute de garanties suffisantes. Deux jours plus tard, Francesca Fiori recevait la visite du strozzino, « l'étrangleur », ainsi qu'on surnomme à Naples ceux qui pratiquent l’une des rares activités en plein essor depuis le déclenchement de la crise de 2008. À Rome, on parle du cravattaro : c'est plus chic mais tout aussi douloureux.
Francesca Fiori, maraîchère de 42 ans, avait hérité d'une entreprise familiale employant 10 personnes et produisant des choux-fleurs dans 90 serres de la périphérie napolitaine. Une entreprise solide, mais qui exigeait d'importants investissements, surtout par temps de récession. Or, après avoir contribué à la crise financière mondiale, les banques ont resserré les boulons du prêt légal et durci les conditions d'attribution, laissant le champ libre au retour massif de l'usure dans tout le sud de l'Italie.
Auprès du strozzino, Francesca Fiori a donc contracté deux prêts, le premier de 6 000 euros, à un taux de 8 % par mois, qui s'est rapidement monté à une somme totale de 100 000 euros. Le second, afin de rembourser les intérêts du premier, de 25 000 euros, et pour lequel elle aurait dû rembourser 700 000 euros, si elle n’avait pas finalement été trouver l’association anti-usure pour dénoncer son « étrangleur », lorsqu'il s’est présenté au tribunal administratif afin de demander l'expropriation de son entreprise.
Le phénomène de l'usure est impossible à mesurer précisément, car il se pratique dans le silence parfois honteux des emprunteurs et le secret de ceux qui la pratiquent. Mais, pour Domenico Di Pietro, permanent de l'association anti-racket et anti-usure de Naples, qui travaille avec les autorités judiciaires et la police, et accueille les victimes qui osent sortir au grand jour, « l'usure a pris une nouvelle ampleur avec la crise économique. Un vrai boom qui touche désormais les classes moyennes. Entre le second semestre 2012 et le premier trimestre 2013, la fréquentation de notre structure a augmenté de 20 % ».
En dépit de menaces de mort à l'encontre de son frère, Francesca Fiori a tenu bon, bien que l’usure soit souvent liée à la criminalité organisée, même si Domenico Di Pietro, lui-même ancien banquier « passé de l'autre côté », tient à distinguer trois types d'usure : « Celle de la voisine de palier, pour des sommes inférieures à 1 000 euros, qui n'est pas tenue par la criminalité organisée. L'usure intermédiaire qui se pratique avec la permission de la criminalité organisée. Et l’usure importante, pour des sommes pouvant dépasser les 100 000 euros, qui est complètement contrôlée par la criminalité organisée, une des rares à disposer encore de telles liquidités. »
Antonio, qui préfère ne pas donner son nom de famille par peur des représailles, a eu recours à l'usure de la deuxième catégorie, sans comprendre, au départ, que son cousin à qui il empruntait faisait partie de ces nouveaux usuriers qui ont su profiter de l’équation formée par le manque de ressources et le durcissement des critères bancaires. À 45 ans, le front dégarni et le visage marqué, Antonio tenait un vaste commerce de 200 mètres carrés, à la fois bureau de tabac, café-bar et emplacement de machines à sous, dans la petite ville de Maddolini, à une quarantaine de kilo
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