Lorsqu’en 1960, François Tusques, étudiant rêveur, pianiste autodidacte épris de Charlie Parker et Thelonious Monk embarque pour aller combattre en Algérie, il a vingt-deux ans et sait à peine où il met les pieds. Dix-huit mois plus tard, c’est un insurgé qui prend le bateau en sens inverse, révolté par le mépris, le racisme et la torture. Rentré au bercail, écœuré, il rejette tout en bloc, les études, le travail, ne restent que le piano et le jazz, il sera donc musicien. Pendant que de l’autre côté de la Méditerranée, Tusques use ses rangers à courir derrière les fellagas, de l’autre côté de l’Atlantique émerge une musique nouvelle, radicale, étendard de la libération des Afro-Américains et grand-messe d’improvisation collective, le Free Jazz. Ses porte-drapeaux s’appellent Cecil Taylor, Don Cherry et surtout Ornette Coleman. Ébloui, Tusques leur emboîte le pas et enregistre dès 1965 le premier album de free jazz français sobrement intitulé Free Jazz, sur lequel on retrouve entre autre François Jeanneau et Michel Portal.
François Tusques, chez lui en 2014 © Patrick Artinian
Mai 68 arrive, Tusques n’est plus étudiant depuis belle lurette, ce qui ne l’empêche pas de se radicaliser, de se découvrir des accointances avec la Chine populaire de Mao et de jouer sa musique à l’occasion des manifs, des grèves, des meetings. Et lorsqu’en 1972, Joseph Fontanet, ministre du travail de Pompidou, pond une circulaire visant à limiter l’arrivée des travailleurs immigrés en France, son sang ne fait qu’un tour. Indigné, il compose, mais cette fois, fini les atermoiements, il faut aller droit au but, être efficace, dénoncer. Et pour cela, écrire des paroles, il y a urgence, l’époque n’est pas à l’eau tiédasse d’autant plus que dans le camp d’en face, on ratonne et on tue des Arabes dans le sud, à Grasse ou à Marseille. Ce sera “Nous allons vous conter…”, morceau emblématique que l’on retrouve sur la compilation Mobilisation générale sortie récemment qui relate tout un pan tombé dans l’oubli de cette chanson française de combat déclamée sur fond de free jazz.
« Nous allons vous conter… » de François Tusques
« Je ne savais pas chanter mais ça passait bien parce que j’y croyais, lâche-t-il. Le plus important, c’était l’engagement. Le groupe était composé pour partie de musiciens amateurs. Il y avait même un trompettiste qui ne savait jouer que cinq notes et lorsque l’on composait, on n’écrivait pour lui que les cinq notes qu’il était capable de jouer. Ce qui comptait, ce n’était pas le talent du musicien mais l’envie qu’il éprouvait de participer. »
via www.mediapart.fr