Vertus de l’antisarkozysme, vices du présidentialisme

A mesure que s'approche l'échéance présidentielle de 2012, le tableau est de moins en moins discuté, tant les importants du moment – mais, hélas, depuis si longtemps, trop longtemps – semblent perdre prise sur les événements et vivre enfermés dans une bulle, hors des réalités et des urgences. Le conflit d'intérêts leur tient lieu d'intérêt général et l'inconscience privée de conscience publique. De fait divers en crise internationale, la démonstration devient impitoyable. A l'été 2010, l'affaire Bettencourt les avait dévoilés en association délictueuse, au carrefour de l'argent et de la politique, d'une politique soumise à l'argent. En ce début de l'année 2011, c'est le soudain réveil démocratique des peuples arabes qui sonne tout ce petit monde à la manière d'un boomerang, mettant à bas ses certitudes aveugles, mettant à nu ses complaisances indignes, mettant au jour ses compromissions coupables.

« Dégage ! », ce pacifique slogan tunisien devenu mordante injonction égyptienne est une victoire inattendue de la francophonie, le Gavroche arabe réveillant la langue que l'Académie française endort. Cette revanche de la rue sur les palais, de la gouaille sur l'ennui, du bonheur sur le malheur, voire même de la beauté sur la laideur est une invite au sursaut pour notre propre peuple. Car c'est à lui qu'il revient de relever le défi du désastre français que fut cette présidence, aboutissement d'un long et lent renoncement démocratique dont elle hérita avec voracité et qu'elle prolongea en l'aggravant.

Oui, à lui, le peuple, dans cette invention improbable qui fait ces refondations qu'on nomme révolution, ce mot qu'a terni un siècle de feu et de sang, le XXe, alors qu'il avait été, au XIXe, synonyme de pain, de paix et de liberté. A lui parce qu'il est temps d'accomplir la promesse d'une République démocratique et sociale, inscrite au fronton de notre Constitution depuis 1946 après un siècle de luttes pour en faire advenir le principe, mais démentie dans les faits, inachevée depuis l'origine et désormais minée par la contre-réforme d'un pouvoir soumis aux intérêts d'une minorité de privilégiés.

Le peuple, donc, parce que s'il ne s'en mêle pas, s'il ne s'en charge pas lui-même, s'il ne se rassemble pas pour dire son bon droit, la routine, l'habitude et la lassitude auront raison de ses attentes. A trop déléguer son pouvoir, le peuple finit par le perdre, dans le maquis des petits calculs et des grands renoncements. La leçon infligée depuis mai 2007 ne fut-elle pas, également, le spectacle désolant des hésitations et précautions, frilosités et accommodements de nombre de ceux qui prétendent parler en son nom, au nom de ce peuple théoriquement souverain ?

A mesure que se défait la gloriole de cette présidence, les protagonistes de ce moment de désarroi aimeraient faire oublier combien fut copieuse la liste de ces volontaires en servitude qui se sont empressés de dire oui au Grand Un présidentiel, alors même qu'ils se prétendaient figures de la gauche socialiste, de la liberté académique ou de l'indépendance médiatique. Aussi dérisoire soit-elle, cette petite cohorte aura eu l'importance de sa traîtrise, reniement de ses engagements, convictions ou professions : un symbole de la corruption de l'esprit public avec ce zèle joyeux des convertis, acharnés à perdre leur passé en même temps qu'eux-mêmes.

Du journalisme comme chien de garde

Sur cette voie, aussi incertaine que nécessaire, d'un sursaut populaire et d'une renaissance démocratique, ce livre voudrait aider au cheminement collectif. A ses discussions et réflexions, créations et inventions. Rassemblant en un seul volume, les textes, articles et chroniques que j'ai consacrés à cette présidence, à son avènement puis à son gouvernement, il témoigne d'un entêtement et d'une cohérence. Entêtement à ne pas se laisser séduire par ce miroir aux alouettes d'un pouvoir réduit à la personne qui l'incarne.

via blogs.mediapart.fr

0 0 votes
Évaluation de l'article
S’abonner
Notification pour
guest
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Translate »
0
Nous aimerions avoir votre avis, veuillez laisser un commentaire.x