«Une révolution d’esclaves contre leurs maîtres», un entretien de Samar Zazbek – Libération

Après tant d’années de dictature, la révolution syrienne vous a-t-elle surprise ?

Oui et non. Non parce que cela fait plus de quatre décennies que le peuple syrien est humilié, qu’il vit sous la coupe des services de renseignements. Ces derniers temps, ils ne se contentaient plus de contrôler la société, mais régentaient l’ensemble de la vie des citoyens. On ne jouit d’aucune liberté d’expression ou d’opinion en Syrie. Même pour voyager à l’étranger il faut disposer d’une autorisation. Ce pays ne connaît aucune vie politique. Nous vivons sous le régime du parti unique. C’est un régime militaire, pas une république. Tout cela n’est pas nouveau, mais tout cela s’est accumulé. Seulement, au temps de Hafez al-Assad, il n’y avait ni télévision par satellite, ni Internet, ni Facebook, ni YouTube. La peur paralysait les gens. Le régime pouvait réprimer une ville, une région, sans que cela se sache. D’autant que Hafez al-Assad bénéficiait d’un consensus international : Américains et Israéliens le voyaient comme nécessaire à l’équilibre régional.

Qu’est-ce qui a changé avec Bachar al-Assad ?

Avec lui, le régime est familial, clanique. Rami Makhlouf, le cousin germain du Président, contrôle 60% de l’économie syrienne. Il y a bien eu une ouverture économique, mais elle n’a profité qu’à certaines familles. Ce soulèvement est une révolution «spartacussienne», une révolution d’esclaves contre leurs maîtres. Les nouveaux médias et moyens de communication ont permis la formation d’un début d’opinion publique dans tout le monde arabe, y compris en Syrie. Une nouvelle génération de jeunes éduqués, qui commençaient à se mobiliser pour les droits de l’homme, a très vite organisé des sit-in de soutien aux révolutions en Tunisie et en Egypte. Immédiatement réprimés. Le 16 mars, des intellectuels et des parents de détenus ont tenu un rassemblement devant le ministère de l’Intérieur, avant d’être brutalement agressés par la police et les chabbiha [milices de civils armés prorégime, ndlr]. Là-dessus ont éclaté les événements de Deraa, où des jeunes enfants ont été arrêtés pour des graffitis antirégime. Lorsque les parents sont allés voir le gouverneur, Atef Najib, un cousin du Président, il leur a répondu : «Oubliez vos enfants, faites-en d’autres ! Et, si vous ne savez pas comment faire, amenez-nous vos femmes !». Cela a été l’étincelle.

Quand avez-vous compris que c’était une révolution ?

via www.liberation.fr

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