Un dialogue Piketty-Graeber: comment sortir de la dette – Page 1 | Mediapart

Mais vous dites bien que le niveau d’inégalités est devenu insupportable ?

T. P. Oui mais, là encore, l’appareil de persuasion, ou de répression, en fonction du pays dont vous parlez, ou la combinaison des deux, peut permettre à une telle situation de durer. Il y a un siècle, en dépit du suffrage universel, les élites des pays industrialisés avaient réussi à refuser toute mise en place d'impôts progressifs. Il a fallu la guerre pour créer un impôt sur le revenu progressif.

David Graeber. Mais l’endettement d’une personne correspond nécessairement à la richesse d’une autre, non ?

T. P. C’est un point intéressant. J’ai adoré votre livre, la seule critique que j’en ferais, c’est que le capital ne se résume pas à la dette. Il est exact que davantage de dettes, qu’elle soit publique ou privée, crée des ressources pour d'autres. Mais vous n'évoquez pas frontalement les différences possibles entre la dette et le capital. Vous faites comme si l’histoire du capital était la même que celle de la dette. Je pense que vous avez raison de dire que la dette joue un rôle beaucoup plus important qu’on ne l’a supposé jusqu’ici. Et, en particulier, dans les contes de fées que racontent les économistes sur l’accumulation du capital, le troc, la création de la monnaie ou l'échange monétaire.

La manière dont vous déplacez le regard, en insistant sur les relations de pouvoir et de domination à l’œuvre dans les relations d'endettement, est excellente. Mais le capital est utile en soi. Les inégalités de capital sont un problème, mais pas le capital en lui-même. Et il y a beaucoup plus de capital aujourd’hui qu’auparavant.

D. G.  Je ne veux pas dire que le capital se résume à la dette. Mais qu’on raconte l’inverse à tout le monde, et que c’est notre rôle de remplir les blancs que ce récit laisse sur l’histoire du salariat, du capitalisme industriel, des formes initiales de capital. J’essaie d’élargir le spectre. Pourquoi dites-vous que les ressources augmentent alors même que la dette augmente ?

T. P. La richesse nette a augmenté, c'est-à-dire les ressources telles qu'on peut les calculer, même compte tenu de la dette.

D. G. Il y a donc plus de richesses par tête qu’avant ?

T.P. C’est évident. Prenons les logements. Non seulement il y a plus de logements qu’il y a 50 ou 100 ans, mais, en proportion d’un an de production, il y a beaucoup plus de logements « nets de dette » qu’auparavant. Rapporté à un an de PIB, si vous mesurez le capital national, défini comme tous les revenus engendrés par l’activité économique, et que vous déduisez tout l’endettement des acteurs publics et privés du pays, le ratio a augmenté dans les pays riches depuis 40 ans. C’est un peu moins spectaculaire aux États-Unis qu’en Europe et au Japon, mais il augmente aussi. Les ressources augmentent donc beaucoup plus vite que la dette.

Thomas Piketty et David GraeberThomas Piketty et David Graeber

D. G. Pour revenir à la question initiale,

via www.mediapart.fr

0 0 votes
Évaluation de l'article
S’abonner
Notification pour
guest
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Translate »
0
Nous aimerions avoir votre avis, veuillez laisser un commentaire.x