Paru chez Melville House, Debt: The First 5000 Years, est devenu un best-seller mondial, vendu à des dizaines de milliers d'exemplaires aux États-Unis, en Grande-Bretagne ou en Allemagne. Le dernier ouvrage de l’anthropologue David Graeber, basé à Londres, et par ailleurs très actif dans le mouvement Occupy des deux côtés de l’Atlantique, propose en effet une nouvelle approche de cette dette qui terrorise la droite et tétanise la gauche. Il vient d'être publié en français, aux éditions Les Liens qui libèrent. Nous avions déjà publié un article sur ce livre, il y a un an et demi, qui pose des questions décisives à la gauche.
D’autres anthropologues avant David Graeber, tel Marshall Sahlins, ont montré comment la dette participait non seulement d’une relation économique, mais aussi d’un rapport de pouvoir. À quel moment une dette devient illégitime ? Qui doit à qui ? Jusqu’où s’impose l’obligation de payer ses dettes ? L’impératif du remboursement est-il d’abord le fruit d’une loi morale, d’une nécessité économique ou d’une contrainte politique ? Ces questions, reprises à la racine par David Graeber, résonnent de manière d’autant plus sensible dans un contexte où la dette des États devient le prétexte à une austérité brutale en forme de punition collective.
« Un audit de la dette serait bien sûr possible, juge André Orléan, économiste et directeur de recherche au CNRS. Des gens vont y être opposés, c’est sûr, mais la dette, cela a toujours été des conflits entre les créanciers et les débiteurs. Les souverains ont sans cesse réduit leur dette à travers l’histoire. La dette moderne des marchés financiers peut aussi être renégociée. »
La question est loin d’être abstraite, alors qu’en Grèce la situation sanitaire et sociale se dégrade au rythme des gages donnés aux créanciers du pays… « L’audit obligerait aussi à un salutaire processus de dévoilement, estime Cédric Durand, maître de conférences à Paris-13. Comme les titres de la dette sont échangeables en permanence, l’audit permettrait de savoir qui les détient. Il me semble donc préférable à une annulation simple et unilatérale, parce que la dette est aussi détenue par des salariés, via des fonds d’épargne ou de retraite, ou des banques centrales africaines… Savoir qui détient la dette permettrait de définir des critères pour décider de ne pas en rembourser une partie, par exemple pas au-delà d’un montant maximum… »
La perspective d’un audit de la dette est absente du programme du PS, soutenue par quelques membres d’EELV sans être mise en avant, et présente dans la campagne du Front de gauche, qui reste toutefois peu disert sur les modalités d’une opération complexe à la fois économiquement et politiquement. Quant à l’association ATTAC, elle a lancé à l’automne un “Appel pour un audit citoyen de la dette publique”, signé par plusieurs syndicats, associations ou partis politiques.
via www.mediapart.fr