A chaque fois qu'elle tape son nom sur Facebook, elle découvre une nouvelle page d'appel à la haine contre elle. Le compte « Pour qu'il y ait dix millions de crachats sur la tête de cette truie chauve » a totalisé près de 35 000 « j'aime ».
Nadia El Fani, 51 ans, est réalisatrice de films. Fille d'un des ex-dirigeants du Parti communiste tunisien (à qui elle a consacré un film) elle s'est installée en France il y a dix ans parce qu'elle étouffait sous le régime de Ben Ali.
En 2003, dans « Bedwin Hacker », elle avait raconté que la contestation viendrait d'Internet. Puis elle a eu envie de faire un film sur l'athéisme en terre d'islam.
C'était avant la révolution. Nadia El Fani a filmé les « résistants au ramadan », ceux qui mangent pendant la journée ou boivent de l'alcool en cachette. Elle avait été autorisée à tourner en Tunisie parce qu'officiellement il s'agissait d'un film sur les fêtes du ramadan.
« Ni Allah ni maître » ou la laïcité en pays musulman
Pour le documentaire « Ni Allah, ni maître », Nadia El Fani se met en scène en train de discuter avec des Tunisiens de la rue sur la place de la religion dans la société.
Elle dénonce « l'hypocrisie sociale » qui règne en Tunisie, où « une majorité des gens ne font pas ramadan mais se cachent ». Elle voudrait que la religion soit une affaire privée, et déplore que l'article 1 de la constitution de son pays dise « la religion est l'islam. » (Voir la vidéo)
Lorsque la révolution de jasmin pointe son nez, Nadia El Fani est en plein montage de son film. Elle file à Tunis sentir le vent dans la liberté, et complète son film en y intégrant les débats sur la laïcité qui agitent les milieux progressistes. « C'était un des premiers sujets débattus après la chute de Ben Ali », assure-t-elle.
Au final, « Ni Allah ni maître » raconte que « les islamistes montrent les dents, mais que la laïcité s'impose. Ce qui est nouveau, c'est qu'on puisse débattre de tout ça ».
Nadia El Fani : « Mon film n'est pas anti-religieux »
Justement, fin avril, elle est invitée pour la projection de son film en clôture du festival Doc à Tunis. Elle est alors sans cheveux à cause d'une chimiothérapie. Interrogée par une journaliste de la chaîne Hannibal TV, Nadia El Fani réaffirme son athéisme militant. L'ambiance est alors bonne :
« La salle de 500 places était pleine, les gens ont très bien compris mon film et il n'y a pas eu d'agressivité. Contrairement à ce qui a été dit après, mon film n'est pas anti-religieux. »
C'est la diffusion d'une version remontée de cette interview qui déclenche la haine contre elle. Des islamistes sans doute peu nombreux, mais très actifs. (Voir la vidéo)
via www.rue89.com