Si l'insurrection égyptienne perdure, son carburant est la crise sociale qui n'a cessé de s'approfondir depuis une demi-douzaine d'années. La stagnation de l'économie égyptienne depuis 2008, malgré le soutien financier constant des Etats-Unis, a suivi quelques années de forte croissance (des taux de 7% de 2005 à 2007) qui n'a en rien profité aux plus pauvres. Comme en Tunisie.
« Depuis 2004 et l'installation de l'actuel premier ministre Ahmed Nazif, il y a eu plus de 3000 actions de protestation, grèves, sit-in, manifestations qui ont impliqué plus de deux millions de travailleurs, assurait il y a quelques mois Joel Beinin, chercheur à Stanford, lors d'une conférence (lire le script de cette réunion ici). C'est le plus important mouvement social dans le monde arabe depuis la Seconde Guerre mondiale. Et le nombre d'actions ne cesse d'augmenter. »
L'accélération depuis 2004 de programmes d'ajustement et de restructuration, en accord avec la banque mondiale et le FMI, a provoqué une vague inédite de privatisations d'entreprises publiques, laissant des dizaines de milliers d'ouvriers et employés sans travail. « La culture de la protestation, de la revendication est devenue désormais une culture quotidienne, notait le syndicaliste indépendant Kamel Abbas, lors de cette conférence. En réponse, je crois que l'usage excessif de la force par le gouvernement pourrait conduire à une explosion. »
L'explosion est partie essentiellement des jeunes dans les villes. Les deux tiers des 80 millions d'Egyptiens ont moins de 30 ans. « Le gouvernement devrait d'abord s'intéresser à eux et ce n'est pas le cas », déplore le chercheur Lahcen Achy. Comme les jeunes diplômés et chômeurs de Tunisie, la jeunesse égyptienne est sans perspective dans un système bloqué. Neuf chômeurs sur dix sont des moins de 30 ans.
Et comme en Tunisie, note Lahcen Achy, « le chômage est le principal problème avec un décalage complet entre les emplois proposés et les formations délivrées dans les écoles et les universités. La permanence du paternalisme et du népotisme rend la situation encore plus difficile ». Sans réseaux, sans protecteur, sans recommandation, impossible d'accéder à l'emploi visé. Les discriminations contre les femmes jouent à plein. Seules 10% des jeunes femmes ont trouvé un emploi deux ans après leur sortie d'école.
via www.mediapart.fr