Jaurès flambant neuf, par Jean-Pierre Rioux – Libération

C’est au jeune Jaurès, dont on découvre les premiers textes, qu’on a envie de rendre hommage aujourd’hui, à l’heure où tout est embrumé ;  à ce Jaurès conscrit de la République réformatrice, gourmand du « monde sensible » (c’est le sujet de sa thèse de métaphysique, soutenue en 1892) et rêvant sous les étoiles : un Jaurès printanier et qui voudra « rallumer tous les soleils », un Jaurès qui décoiffe !

On s’en convaincra en lisant son « papier » si actuel intitulé « La démocratie radicale », qu’il a publié dans La Dépêche de Toulouse le 14 octobre 1888. De quoi nous avertissait-il ce jour-là, au retour d’une réunion à Gaillac, dans ce Tarn qui l’avait élu à la Chambre à 26 ans, en 1885 ? Assez de discours, assez de confort pour nous, les élus de la Nation ! « Volontiers, nous nous installerions dans une popularité facile comme dans un fauteuil à roulettes, et nous prierions le suffrage universel de nous pousser doucement sur un parquet bien ciré ». Or, attention, car toujours « le peuple dit : où sont les résultats ? »  Malheur à nous, les politiques, si nous devenons des rentiers du suffrage universel ou des luttes, car « il faut que la démocratie sente que nous la demandons pour elle et non pour nous, que nous y cherchons seulement la force nécessaire pour de nouveaux combats moins stériles, et que nous n’attendons le salaire, c'est-à-dire la reconnaissance profonde et durable du peuple, que lorsque nous aurons remis en ses mains les fruits de la justice ». Et gare à vous, les petits arrivistes friands d’exagération, de violence rhétorique, de simplisme populiste, si vous n’avez pas conservé en vous « une force suffisante de science et de pensée » ! Car, ne l’oubliez jamais, « le Tiers État a préparé son triomphe par l’étude d’abord et ensuite par la reconnaissance aisée des supériorités vraies ».

Donc, à vous tous, élus, responsables, intellectuels, militants, gens de peu mais gens de bien, un bon conseil : « Sachez écouter, sachez interroger, faites causer à la rencontre » ; apprenez à ne pas « être tout amour ou toute haine », « apprenez à connaître les hommes ». Parce que « le principal ou plutôt le seul obstacle au progrès, c’est l’égoïsme » et que l’égoïsme social n’est ni bourgeois ni prolétaire : « Il est, tout simplement ; et il ravage indistinctement toutes les âmes. » Or, « nous ne pouvons nous sauver les uns et les autres (…) qu’en mettant en commun ce qu’il y a en nous tous de désintéressement et en nous avertissant avec une mutuelle franchise de nos défauts respectifs ». Oui, « la qualité première de la démocratie radicale, c’est l’intelligence vraie de la situation politique dans son ensemble ». Oui, la République « ne peut être conservée que par l’union ». Et l’avenir est à ceux qui le croient et qui le savent, qui l’espèrent et qui l’expérimentent.

Car le monde nouveau ne sera pas, dit-il, « une tutelle nouvelle ou d’intellectuels ou de bureaucrates ». Il sait que « la démocratie française n’est pas fatiguée de mouvement, elle est fatiguée d’immobilité ». Il conviendra plus tard que « ce que la vie m’a révélé, ce n’est pas l’idée socialiste, c’est la nécessité du combat ». Car « la vérité, pour être toute la vérité, doit s’armer en bataille ». Pour tout dire, Jaurès nous a laissé un testament en forme de conseil lapidaire : restez intraitables sur le principe de liberté ; battez-vous ; mais, surtout, ne construisez rien sans morale et sans travail. Il a lancé un jour cet éclair : « Si dans l’ordre social rêvé par nous, nous ne rencontrion

via www.liberation.fr

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