Réduction des dépenses publiques, privatisation des
services publics, individualisation de la protection sociale,
destruction des collectifs, pressions des banques privées sur les économies
nationales, comme en Grèce… Derrière toutes ces tendances convergentes
opère une même manière de gouverner et de penser la société: le
néolibéralisme. En décryptant les dynamiques de cette nouvelle
«rationalité gouvernementale», Christian Laval, auteur avec Pierre
Dardot de La Nouvelle Raison du monde (La
Découverte, 2009), remet de la cohérence dans les événements politiques en
cours. Son nouvel essai, La Nouvelle École capitaliste, paraîtra à la rentrée.Parvient-on
encore à analyser la forme du pouvoir dans nos sociétés
politiques actuelles?Les
outils critiques dont nous disposons aujourd'hui ne me semblent
plus suffisants pour comprendre le jeu du pouvoir. Le
néolibéralisme est précisément une réalité nouvelle, comme le
suggère le préfixe «néo» qu'il faudrait prendre au sérieux.
C'est ce que nous avons essayé de faire avec Pierre Dardot, en nous
appuyant, d'ailleurs assez librement, sur les cours donnés par
Foucault au Collège de France, notamment celui de 1979, Naissance
de la biopolitique. Ce cours nous apprend que le néolibéralisme
n'est pas un naturalisme, c'est-à-dire une doctrine qui s'adosserait à une hypothétique nature humaine, mais qu'il s'agit bien
plutôt d'un constructivisme, c'est-à-dire d'un projet de
construction déterminé de la société.Comme le dit Wendy Brown
dans les Habits neufs de la politique mondiale, le
néolibéralisme est un projet qui vise à construire dans l'ensemble
de la société, et dans chacun de ses secteurs particuliers, des
situations de marché qui obligent les individus à se conduire de la
meilleure façon souhaitable, c'est-à-dire comme des hommes
économiques maximisateurs et calculateurs (la théorie économique néoclassique considère que chacun peut connaître l'ensemble des solutions possibles et choisir celle qui lui procure la plus
grande satisfaction), et, plus encore, comme des
entrepreneurs. Les relations sociales, les institutions, les
subjectivités doivent se plier à cette nouvelle norme politiquement
construite.
C'est
donc la concurrence qui serait le principe général du
néolibéralisme?La
concurrence est le modèle général qui peut être appliqué à
l'ensemble des activités. Cela signifie que les segments d'existence
qui échappaient à la logique de la concurrence doivent être
modifiés politiquement, juridiquement, techniquement, afin d'y
devenir perméables. Comme le dit très bien Hayek, là où il n'y a
pas encore de système de prix, c'est-à-dire là où ne règne pas
encore une situation de marché, il est possible de l'introduire
par le biais de dispositifs d'évaluation quantitatifs, qui vont
fonctionner comme s'il s'agissait de prix de marché.En d'autres
termes, la politique néolibérale se définit par l'élargissement
de la logique de marché. On commence à en sentir
les effets par exemple dans le domaine de la santé, de l'éducation,
voire de la justice ou de la police. On peut craindre que ce ne soit
là le début d'un remaniement en profondeur de la société. Une
sorte de capitalisme généralisé en somme.
Sur
quel modèle d'organisation concret s'appuie le projet néolibéral?Le
modèle d'organisation devient, comme je l'ai suggéré plu
via www.mediapart.fr