Sur «Congo, une histoire»: l’Europe face à son passé colonial et à son avenir global, par Philippe Riès

Livre évènement, "Congo, une histoire" décortique, avec une puissance inédite, un des épisodes les plus sinistres de la longue domination européenne sur la planète, alors que le Vieux Continent vit très mal la fin de sa prééminence, à l'heure du Grand Basculement.

C’est le travail qu’aurait du pouvoir consulter le nègre de Nicolas Sarkozy, Henri Guaino, avant de commettre le plus ridicule des ridicules discours hoquetés par l’ancien président de la République, celui de Dakar. Livre événement en Belgique et au-delà, «Congo, une histoire», de l’historien, écrivain et journaliste David Van Reybrouck rappelle non seulement que l’homme africain est entré dans l’Histoire le premier et qu’il est entré ensuite dans «notre histoire» pour son immense et permanent malheur. Il démontre que, contrairement à ce que pensent ou proclament nombre d’amis de MM. Sarkozy et Guaino, il n’y a aucun, strictement aucun «aspect positif» de la colonisation européenne blanche en Afrique, et tout spécialement au Congo ex-Belge. Il soulève enfin, par extrapolation, une question cruciale posée à l’Europe : comment affronter un monde où sa prééminence multiséculaire s’efface sans avoir vraiment fait le bilan de son épisode le plus sinistre, la colonisation?

En Belgique même, comme partout ailleurs en Europe, et bien sûr en France, «l’aventure coloniale» fut longtemps l’objet d’une propagande infantile, à base de cartes géographiques richement colorées et de clichés sur la mission civilisatrice des Européens. Encore en 2005, le musée de Tervuren à Bruxelles, monument à l’œuvre conquérante du roi Léopold II en Afrique centrale, organise une vaste exposition consacrée à «La mémoire du Congo : le temps colonial». Il faut se donner beaucoup de mal pour trouver la section, quelques panneaux, consacrée au «travail forcé», cette déclinaison «moderne» de l’esclavage qui va saigner les peuples africains, au propre et au figuré, pendant des dizaines d’années. Et le livre d’or, signé à la sortie par les visiteurs, déborde d’une nostalgie assez nauséabonde des jours heureux vécus dans la colonie perdue.

Le musée royal de TervurenLe musée royal de Tervuren© MRAC

A l’image du Congo, ce géant qui emporte à des centaines de kilomètres au large les boues et les troncs d’arbres arrachés au cœur du continent africain, la force du livre de David Van Reybrouck est dans ce continuum qui transporte le lecteur de la lointaine pré-histoire (90.000 ans avant J.C.) jusqu’aux épisodes actuels de cette tragédie. Cette continuité est indispensable pour démonter les ressorts de l’occultation du crime européen, selon laquelle, par exemple, la colonisation blanche s’impose sur un territoire historique, politique et culturel aussi vierge que la forêt du même nom. Alors qu’en réalité, elle va infantiliser, mutiler, émasculer et finalement annihiler des civilisations dont nul, sauf Guaino et ses semblables bien sûr, ne peut dire comment, laissées à elle-même, elles auraient évolué. Elle remplace un mal, la traite arabo-africaine dont l’élimination servira de prétexte «moral» aux ambitions géopolitiques et mercantiles de Léopold II, par un mal bien plus grand encore, la violence criminelle à l’état pur du travail f

via blogs.mediapart.fr

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