JCG : Une "revue
érotique", en France, en 2008, c’est un Lovni ? ou que
nenni ? !
RS : Cela dépend
du point de vue. Quand on parle en France de revue érotique,
cela n’apparaît pas forcément comme une bizarrerie. Il
y a et il y aura toujours des revues érotiques de plus ou
moins bonne qualité. La différence c’est que nous
voulions nous inscrire dans cette famille d’un point de vue
littéraire et en cela, il s’agit bien d’un ovni. La
littérature érotique est souvent déconsidérée
et personne jusqu’à maintenant n’avait pensé que
l’on pouvait y trouver matière à des textes de
qualité. Qui plus est, nous ressentions comme une cruelle
absence le fait qu’il n’existait pas jusqu’à maintenant
de revue telle que celle-ci, ouvrant l’érotisme à un
large public et ne se spécialisant pas dans une seule
catégorie. En effet, nous espérons que tout le monde
puisse trouver dans Stupre matière à satisfaction.
JCG : Revue thématique,
vous commencez par "Palace". Qu’est-ce qui n’est pas la ?
Ce plaisir des palaces : luxe, calme et volupté ? Palace
plutôt que salace, ou hélas, pas de place pour ce palace
que serait une vie de plaisirs et plaisante ?
RS : Afin de ne pas nous
inscrire dans la négation je dirais que dans Stupre tout est
là. Nous avons choisi le thème du « palace »
pour tout ce qu’il projette dans l’imaginaire collectif.
Strass et paillettes, halls d’hôtels déserts,
rencontre d’une inconnue dans la nuit ; les années
Pacadis, son style dandy punk, le rock et les paradis artificiels ;
les coulisses du luxe et leurs mystères, les palais
insoupçonnés, les villas abandonnées, les
châteaux hantés de lascives succubes, la prostitution
extravagante et navrante ; jacuzzi, champagne, concierge prêt
à tout… Nous n’avions même pas conscience au début
du rapprochement de termes entre palace et salace. Ce n’est qu’un
hasard fortuit qui correspond finalement à l’ambiguïté
de Stupre. Et si vous considérez qu’il n’y a pas de place
dans notre société actuelle pour les palaces, laissons
justement place à l’imaginaire et à la rencontre
impromptue du luxe.
JCG : "Stupre",
c’est 80 pages, textes et images, des dessins, des photos. Quel est
l’événement dont c’est l’avènement pas vainement
dans ce premier opus ? Malgré l’époque, sinistrosante,
les corps et les âmes résistent et tiennent bon, à
ce qui est bon ?
RS : C’est l’avènement
de la pluri-disciplinarité au service de l’érotisme.
La plupart des contributeurs ne sont pas issus du monde l’érotisme
et nous voulions leur donner la possibilité de s’exprimer
sur ce sujet. C’est pourquoi la naissance de Stupre suscite de la
part de tous un réel engouement pour ce qui est de la défense
d’un plaisir de qualité. Nous avons sélectionné
par exemple des auteurs comme Jul qui travaille pour Charlie Hebdo ou
Bertrand Guillot dont le premier roman, Hors Jeu, paru en septembre
2007 n’a rien d’érotique. De même pour la
photographie, si Jean-Marc Millière photographie souvent des
nues, ce n’est pas le cas d’Ernesto Timor dont le travail
érotique n’est qu’une petite partie de son œuvre.
JCG : Toujours l’époque,
son conservatisme élu, et puis, en-deçà de la
société du spectacle, un monde citoyen qui parle, vit,
fait des rencontres, et plus si affinités, et il y a
affinités. L’Internet étant aussi ses traces, l’appel
érotique suscite des adeptes confirmés et passionnés,
avec des blogs, par centaines. "Stupre" serait aussi la
concrétisation de cette vague précise ?
RS : Comme tout objet
littéraire, Stupre s’inscrit dans la vague du temps. Nous
n’avons pas planifié de profiter d’une vague érotique
avec l’avènement des sextoys et une liberté de ton
que l’on retrouve notamment sur internet sans doute en réaction
à la morosité actuelle. Mais il est vrai qu’étant
parti prenante de la société nous en subissons
l’influence, c’est pourquoi nous avons fait appel, entre autres,
à des blogueurs . Stupre se veut dans la vague tout en n’en
adoptant pas les travers. En même temps nous nous servons du
plus vieux thème du monde. Nous n’avons pas la prétention,
ce qui serait ridicule, d’avoir découvert l’érotisme.
Mais nous avons celle de lui apporter un nouveau regard, plus
contemporain, plus doux et plus intellectuel. Un regard original
aussi comme par l’utilisation de traits fins en bande dessinée,
destinés habituellement aux récits autobiographiques,
mais ici au service de l’érotisme par Aude Picault.
JCG : J’ai attiré
votre attention sur les poèmes érotiques de Mallarmé,
ignorés en tant que tel. "A la nue accablante tu" a
donc désormais la parole, grâce à vous. Comment
l’entendez-vous, cette parole poétique qui ne dit pas les
choses comme les autres et qui dit aussi ce qu’elles sont, comme
aucune image ne le montrera et l’expliquera ? L’audace est donc par
vous recommandée, obligatoire ?
RS : Nous voulons
conférer à Stupre un caractère culturel. Au-delà
du côté agréable de l’érotisme, le but
était aussi de permettre des découvertes ou des
redécouvertes. Nous voulons que les gens ouvrent les yeux et
découvrent le monde dans ses sous-entendus érotiques,
ce qui est le propre du poème de Mallarmé. Nous nous focalisons
sur le sous-entendu contre la pornographie placardée sur les
murs. Pour être
sincère la poésie n’est pas notre spécialité
mais appréhender un texte avec un nouveau regard est notre
principal intérêt.
JCG : "Stupre",
maintenant, dans six mois, six ans, ce sera, ce serait ? quels thèmes
? …
RS : Stupre c’est deux
fois par an. Nous clôturons donc l’appel à
contribution le premier juin afin de sortir un prochain numéro
pour la rentrée littéraire de septembre. Le thème
est « sur la table ». Le prochain Stupre sera
donc culinaire, un plaisir pour l’intellect et pour les papilles. Pour la suite,
Stupre évoluera en fonction des possibilités qui ne
manqueront pas d’arriver.